MEMOIRE
TOUCHANT LES DIFFÉRENS DROITS QUE DIVERS
PRINCES ET AUTRES POURROIENT PRÉTENDRE SUR LES ESTATS
POSSÉDEZ PAR COSME III, GRAND-DUC DE TOSCANE, AU CAS QUE LUY, LE
PRINCE SON FILS ET l'ÉLECTRICE PALATINE SA
FILLE MOURUSSENT SANS ENFANT
Par M. De Saint-Prest
In: Recueil des instructions données aux ambassadeurs de France. Volume XIX: Florence, Modène, Gênes. Par Edouard Driault. Paris: Félix Alcan, 1912.
Correspondance de Toscane. LIX, f° 182 à 221. — Au moment où
s'engage véritablement la question de la succession de Toscane, il nous
a paru intéressant de reproduire un Mémoire écrit à cette occasion en
1717, et dans lequel cette question est présentée, avec quelque
longueur au début, mais dans l'ensemble avec une grande clarté. On y
trouvera d'ailleurs un aperçu utile des relations générales de la
France et de la Toscane depuis le commencement du xvie siècle.
M. de Saint-Prest, « secrétaire des commandements de Mme la duchesse
d'Orléans, véritable historiographe des Affaires étrangères au temps de
Torcy, et premier garde du dépôt », fut fort employé et assailli de
demandes par Dubois qui aimait à s'entourer des conseillers de Torcy,
le pouvant « considérer comme son prédécesseur » — «C'était un vrai
plaisir d'interroger un pareil homme, qui ne ménageait pas sa peine et
dont le savoir inépuisable se répandait en longs mémoires instructifs.
» (Emile Bourgeois, Le secret du Régent, p. 284-286).
Pour bien connoistre le fondement et la validité ou
l'invalidité des droits que le Pape, l'Empereur, les rois de
France, d'Espagne, d'Angleterre et de Sicile, les ducs de Lorraine et
de Parme, les seigneurs qui restent de lu maison Médicis et
entre autres les princes d'Ottaiano, et mesme les Florentins, les
Pisans et les Siénois républicains pourraient
prétendre au cas que le grand-duc, son fils et sa fille vinssent
à mourir sans enfant, il est nécessaire de rapporter
l'ancien Estat de la Toscane, comment les Républiques de
Florence, de Pise, et de Siene s'y establirent, et comment elles ont
esté unies, comment les Médicis acquirent la principale
authorité dans Florence, pourquoy ils en furent chassez deux
fois et à quelles conditions ils y furent restablis autant de
fois, comment la dignité de chef de la République de
Florence leur fut donnée par un jugement arbitral rendu par
l'empereur Charles-Quint et l'Estat de Sienne fut donné en fief
aux ducs de Florence par Philippe II, roy d'Espagne, les
différentes branches de leur maison, la suite des grands-ducs de
Toscane et les Estats que le grand-duc possède
présentement, ceux de cette maison qui subsistent encore, et les
princes qui en sont issus par femmes, c'est ce qu'on taschera de faire
en peu de mots dans la première partie de ce petit ouvrage ;
elle ne sera à proprement parler qu'une histoire qui servira de
fondement pour faire connoistre les raisons qui seront apparemment
alléguées par tous ceux qui pourront former des
prétentions sur les Estats de la succession des grands-ducs de
Toscane.
PREMIERE PARTIE
ARTICLE PREMIER
De l'ancienne Hétrurie ou Toscane.
L'ancienne Hétrurie estoit une grande province de l'Italie qui
contenoit autrefois tout le pays situé entre le Tibre, les Monts
Appennens, la mer Tyrrhene et le fleuve Muera, présentement
nommé Magra, qui le séparoit de la Ligurie; on l'appeloit
aussy Tuscia d'où a esté formé le nom de Toscane.
Ce pays a eu autrefois des rois particuliers et entre autres Porsenna
qui vivoit au temps que Tarquin le Superbe fut chassé de Rome,
et ensuite passa sous la puissance des Romains et puis des rois
Hérules, Goths, et Lombards qui dominèrent en Italie
après la décadence de l'Empire romain, de Charles-Magne
après qu'il eut détruit la puissance des Lombards, de
Louis le Débonnaire et de ses descendants jusqu'à ce que
Charles le Gros fût privé de tous ses Estats, ensuite des
Bérangers et autres princes italiens qui se firent donner le
titre d'Empereurs par les Papes, et enfin sous la puissance d'Othon le
Grand, roy de Germanie, qui se rendit maître de presque toute
l'Italie, et à qui le pape Jean XII donna le titre d'Empereur
qui a passé a ses descendans et à ses successeurs rois de
Germanie.
Comme les Empereurs faisoient leur séjour ordinaire en
Allemagne, ils establirent en Italie ainsy que dans les autres Estats
de leur domination des ducs, des comtes et des marquis, qui n'estaient
d'abord à proprement parler que des gouverneurs pour autant de
temps qu'il plairoit aux Empereurs, mais qui dans la suite, ainsy que
ceux qui possédaient de pareils titres en France et en Allemagne
s'emparèrent de la plus grande partie des droits
régaliens dans les provinces qui leur estoient commises, et
rendirent mesme leurs dignitez héréditaires dans leurs
familles, en sorte que leurs fils et à leur défaut leurs
filles leur succédèrent et disposèrent souvent de
leurs Estats par testament ainsi que bon leur sembloit de même
que s'ils avoient été leur patrimoine. II y eut entre
autres des marquis d'Hétrurie de la maison d'Este dont le
premier fut Tédalde, fils d'Azon, comte ou marquis d'Este
à qui l'empereur Othon II donna le marquisat d'Hétrurie
en considération de ce qu'il avoit espousé une fille
naturelle qu'il avoit. Boniface, leur fils et leur héritier,
épousa aussy Béatrix fille de l'empereur Conrad II et en
eut une fille nommée Mathilde qui succéda à tous
ses Estats et qui n'ayant point eu d'enfant quoiqu'elle eust
été mariée deux fois laissa tous ses biens
à l'Église romaine qui n'en a profité que de la
partie de l'Hétrurie ou Toscane qui est la plus voisine du Tibre
du côté de l'occident et qu'on appelle présentement
le patrimoine de Saint-Pierre, l'empereur Henri IV ayant
conservé le reste de la Toscane tant à cause de sa
dignité impériale que comme cousin germain et le plus
proche parent et héritier de Mathilde.
ARTICLE II
Comment Florence et plusieurs autres villes de Toscane s'érigèrent en Républiques.
Les divisions presque continuelles qui furent depuis entre les Papes et
les Empereurs qui furent souvent excommuniez par les Papes
causèrent de grandes divisions dans toutes les villes d'Italie
dont les habitans se partagèrent en deux factions, ennemies
mortelles l'une de l'autre; ceux qui prirent le party des Papes furent
appeliez Guelphes, et ceux qui se déclarèrent pour les
Empereurs furent appeliez Gibelins, et comme les papes Honorius III,
Grégoire IX et Innocent IV non seulement excommunièrent
l'empereur Frédéric II, mais le déclarèrent
déchu de sa dignité impériale,
déchargèrent ses sujets du serment de
fidélité qu'ils luy avoient presté, et les
excitèrent à prendre les armes contre luy, les Guelphes
qui estoient les plus forts en Italie se souslevèrent de tous
côtez contre luy, chassèrent ses officiers et les Gibelins
de la plus grande partie des villes qui ne reconnurent plus la
souveraineté des Empereurs : les unes se donnèrent
à quelques princes et seigneurs voisins pour en estre
protégez, et les autres et nommément celles de Toscane
s'érigèrent en Républiques, élurent des
podestats et autres magistrats pour les gouverner pendant des temps
limités, et se liguèrent ensemble pour se deffendre
contre l'Empereur qui fit inutilement son possible pour les
réduire sous son obéissance et mourut dans son royaume de
Naples en 1250.
Les choses demeurèrent en cet estat pendant une manière
d'interrègne ou de chisme qui dura dans l'Empire depuis la mort
de Frédéric II jusqu'à ce que Rodolphe Ier du nom,
comte d'Hapsbourg, fût élu empereur en 1273 ; plusieurs
l'excitèrent à marcher en Italie avec une puissante
armée pour réduire ces villes sous son obéissance,
mais craignant de ne pas réussir dans son dessein auquel il
jugeoit que les Papes ne manqueroient pas de s'opposer, il se contenta
d'y envoyer son chancelier avec ordre de tascher d'y recevoir en son
nom la foy et hommage des villes qui relevoient de l'Empire, mais comme
elles le refusèrent l'Empereur ne jugea pas à propos
d'entreprendre de les y contraindre par la force, et prit le party de
vendre à celles qui voulurent bien luy donner de l'argent les
privilèges et immunitez dont elles ont joui depuis entre autres
en Toscane : Florence luy donna six mille escus, et Luques douze mille,
à condition néantmoins qu'elles demeureroient toujours
dans la fidélité qu'elles devoient à l'Empire. Il
ne paroit pas que Pise ni Sienne ayent rien donné mais elles ne
laissèrent pas de jouir d'une pleine liberté, ainsi
qu'Arezzo, Pistoie, Volterre et plusieurs autres villes de Toscane.
ARTICLE III
Du Gouvernement de la République de Florence.
Il ne me paroist pas nécessaire pour mon dessein de rapporter
icy par le détail l'histoire de toutes les révolutions et
de tous les changemens qui arrivèrent successivement dans la
forme du gouvernement de la République de Florence ; il me
suffit de marquer que comme la plus grande partie des habitans de
cette ville estoient Guelphes et les autres Gibellins, que les uns
estoient nobles, les autres bons bourgeois ou marchands, et les autres
artisans, il y eut de perpétuelles divisions entre les habitans
au sujet de la forme du gouvernement, que les Gibellins
chassèrent les Guelphes de Florence qu'ils mirent entre les
mains de Mainfroy roy de Naples, et ensuite en furent eux-mesme
chassez, et le Pape pour fortifier les Guelphes establit Charles
d'Anjou qui avoit conquis le royaume de Naples sur Mainfroy pour
vicaire impérial en Toscane, que dans la suite les Gibellins
furent rappeliez et la paix fut restablie entre ces deux factions, mais
qu'il y eut de nouvelles divisions entre les nobles qui auroient voulu
avoir seuls le gouvernement et ne se point assujetir à
l'observation des lois et les cittadins ou bourgeois qui dans la suite
exclurent entièrement les nobles du gouvernement dans lequel
ceux-cy s'efforcèrent souvent de rentrer en se faisans recevoir
dans le corps des marchands, que les Artisans voulurent aussy entrer
dans le gouvernement et l'obtinrent à la fin après de
grandes contestations et plusieurs meurtres.
Après beaucoup de changemens dans la forme du gouvernement,
celuy qui s'est maintenu le plus longtemps est que la Seigneurie qui
représentoit le corps de la République et régloit
toutes les affaires publiques et particulières consistoit en
neuf bourgeois qu'on nommoit d'abord prieurs des arts et ensuite
seigneurs, qui estoient élus par tous les bourgeois et dont
l'administration ne duroit que deux mois ; entrans en charge ils
choisissoient deux chefs, un qu'on appelloit le capitaine du peuple, et
un autre qu'on appeloit le gonfalonier de justice qui avoit sous sa
garde le gonfalon ou estendart de la République et sous son
commandement quatre mille hommes enrollez en diverses compagnies et
avec lesquels et le gonfalon il marchait pour exécuter les
ordres que les seigneurs ou le capitaine luy donnoient ; il devint dans
la suite le premier officier de la République.
Lorsqu'il y avoit une affaire de conséquence à
régler pour le bien de l'Estat, les seigneurs faisoient
assembler tous les bourgeois pour sçavoir leurs avis et prendre
une résolution.
Il y eut encore depuis un Sénat de quatre vint hommes.
ARTICLE IV
De l'origine et des premiers autheurs de la maison de Médicis.
L'opinion commune est que dès l'an onze cent les Médicis
estoient seigneurs du chasteau de Magello situé près des
Monts Appennins dans le territoire de Florence, ils
transférèrent ensuite leur domicile dans cette ville
où ils furent du nombre des meilleures familles populaires, en
sorte que pendant que la République a subsisté il y a eu
de cette maison vint trois gonfaloniers de justice et près de
cent prieurs des Arts ou seigneurs. Les premiers qui entrèrent
dans ces premières charges de l'Estat furent Ardingo de
Médicis qui fut un des seigneurs en 1291, en 1295, 1307, 1313 et
1316, et gonfalonier en 1292 et 1307, et Guccio de Médicis son
frère qui fut un des seigneurs en 1298, 1304, 1308 et 1315, et
gonfalonier en 1298. Je passe tous les autres pour venir aux autheurs
de ceux dont j'ai à parler dans la suite de cet ouvrage.
Averardo de Médicis, IIe du nom, cousin d'Ardingo et de
Guccio de Médicis dont je viens de parler fut du nombre des
seigneurs en 1309 et gonfalonier en 1314, et laissa entre autres enfans
deux fils sçavoir Clarissime qui suit, et Giovenco, en latin
Juvencus, autheur de la branche dont sont issus quelques Médicis
qui sont restés à Florence et les princes d'Ottaiano qui
se sont établis dans le royaume de Naples et dont il sera
parlé cy-après, article xv.
Clarissime de Médicis fils aisné d'Averardo fut
père d'Averdo de Médicis, IIe du nom, et ayeul de Jean de
Médicis surnommé Biccio, qui fut extrêmement
estimé et aimé du peuple à cause de son
zèle pour le bien de l'Estat, de sa libéralité
envers ceux qui estoient dans le besoin et de sa modestie : quoyqu'il
n'eust jamais brigué aucune dignité il fut mis au nombre
des seigneurs en 1402, 1408 et 1411, et élu gonfalonier en 1421
; il mourut en 1428 laissant deux fils Cosme dit le Vieux et le
père de la patrie, et Laurent dit l'Ancien.
Comme ceux qui sont issus de ce Cosme ont possédé en
premier lieu la principale authorité et puis la
souveraineté dans Florence et sont esteints des il y a plus de
cent quatre vingt ans, que l'authorité souveraine a passé
ensuite à ceux de la branche issue de Laurent l'Ancien et qui
semble estre sur le point de s'esteindre, et que si cela arrivoit il ne
resteroit plus de Médicis issus de Giovenco, je vay parler
successivement de ces trois branches autant que je crois
nécessaire pour entendre et décider les questions dont il
s'agit.
article V
Les seigneurs de la branche de Médicis issue de Cosme,
père de la patrie, jusqu'à leur première
expulsion de Florence.
Cosme de Médicis dit le Vieux amassa des richesses immenses par
le grand commerce qu'il exerçoit dans toutes les parties du
monde connu, gagna les cœurs de tous ses concitoyens par ses
libéralitez et ses ausmosnes et par la construction de plusieurs
églises et hospitaux ; ses richesses, cette faveur du peuple et
le grand pouvoir qu'il avoit dans le gouvernement de l'Estat luy ayant
attiré des envieux il fut banni avec son frère Laurent en
1433, mais il fut rappellé l'année suivante et receu avec
une extrême joie de tout le peuple qui luy donna le glorieux
surnom de Père de la patrie qui luy est demeuré ; il fut
gonfalonier en la mesme année 1434, et en 1438, et 1445 ; et
sans posséder depuis aucune charge eut une telle
authorité dans la République qu'on n'élevoit aux
magistratures que ceux qu'il jugeoit à propos et que toutes les
affaires importantes se résolvoient chez luy avant que d'estre
portées au Conseil composé du gonfalonier et des prieurs
des Arts ; cela dura ainsy jusqu'à sa mort arrivée en
1464.
Pierre de Médicis, Ier du nom, son fils, qui avoit esté
gonfalonier en 1460 se maintint au moyen des amis de sa famille dans le
pouvoir que son père avoit eu à Florence nonobstant son
peu de génie et ses infirmitez et l'armement des Pitti et de
plusieurs autres Florentins qu'il avoit fait exiler, et mourut en 1272
laissant deux fils nommez Laurent et Julien.
Laurent de Médicis, IIe du nom surnommé le Grand et le
Magnifique et le père des lettres à cause des biens
faits dont il gratifia les hommes savans
succéda à son père dans son authorité
à Florence, et fut estimé des princes estrangers et
extrêmement aimé du peuple de Florence auquel il avoit
soin de procurer l'abondance de toutes les choses nécessaires
à la vie.
Il n'y eut que le pape Sixte IV qui estant mécontent de luy
à cause qu'il avoit assisté quelques-uns de ses ennemis
écouta, a ce qu'on prétend, pour s'en vanger la
proposition que luy fit François Pazzi, noble Florentin, de
l'assassiner et son frère Julien, et d'establir en leur place
les Riaires neveux de ce Pape chefs de la République de Florence
pour la gouverner suivant qu'il plairoit à Sa Sainteté,
et convint que le cardinal Riaire seroit présent quand la chose
s'exécuteroit afin d'animer les conjurés par sa
présence. En effet ce cardinal vint à Florence et fut
à une église le dimanche 26 avril 1478 auquel jour on
estoit convenu d'assassiner les deux frères pendant la messe
dans le moment qu'on éleveroit la sainte hostie ; Julien fut
tué mais Laurent ne fut que blessé, et sauvé dans
la sacristie, et le peuple s'estant déclaré pour luy fit
périr presque tous les complices de la conjuration et entre
autres pendre François Salviati archevesque de Pise.
Laurent eut bien de la peine de sauver la vie au cardinal Riaire que le
peuple vouloit mettre en pièces comme complice de la conjuration
; mais les magistrats le dégagèrent sous prétexte
de luy vouloir faire le mesme traitement qu'aux autres conjurés,
le conduisirent au palais où il logeoit et le retinrent
jusqu'à ce que le peuple estant appaisé ils le
laissèrent retourner à Rome.
Julien laissa une femme qui prétendoit qu'il l'avoit
espousée et estoit grosse d'un fils dont elle accoucha peu de
jours après et qui fut nommé Jule ou Julien et reconnu
par Laurent de Médicis comme son neveu, et qui fut depuis le
pape Clément VII.
Le Pape Sixte ayant sous prétexte de ce que l'on avait mis le
cardinal son neveu en arrest et de ce qu'on avoit exécuté
à mort l'archevesque de Pise excommunié les Florentins et
excité Ferdinand d'Aragon roi de Naples à leur faire la
guerre, ils se préparèrent à se deffendre,
créèrent en faveur de Laurent de Médicis une
nouvelle magistrature sous le nom de prince de leur République
et luy donnèrent pouvoir de vie et de mort sur ses concitoyens,
d'establir tous les officiers, de mettre des garnisons dans les places
et d'augmenter tous les imposts ainsy qu'il jugeroit à propos ;
il usa de ce pouvoir presque souverain avec beaucoup de
modération, fit la paix avec le roi d'Aragon et ensuite avec le
Pape, et conserva son authorité jusqu'à sa mort
arrivée en 1472, laissant de son mariage avec Clarice, fille de
Virgino Ursini trois fils sçavoir Pierre, Jean qui estoit
cardinal, et Julien.
Pierre de Médicis IIe du nom qui n'avoit aucune des bonnes
qualitez de son père traita avec beaucoup de hauteur les
premiers de la République, et ne se contentant pas de
l'authorité que son père y avoit eue quoyque les
Magistrats ne s'y élussent que selon qu'il le souhaitoit, et
qu'on ne conclust aucune affaire qu'après avoir pris son avis,
aspira, à ce qu'on a prétendu, a une puissance encore
plus absolue, et croyant parvenir plus aisément à son
dessein par le secours de Ferdinand d'Aragon roy de Naples se ligua
avec luy contre le roy Charles VIII qui se préparoit à
entrer en Italie pour s'emparer du royaume de Naples, et qui estant
irrité du procédé de Pierre de Médicis fit
chasser de France tous les marchands florentins qui y trafiquoient ; ce
Roy estant ensuite entré avec son armée en Italie et
s'approchant des frontières de l'Estat de Florence, Pierre de
Médicis en fut épouvanté, et ne se sentant pas en
estat de luy résister prit le party d'aller au-devant de luy et
pour l'appaiser et se le rendre favorable luy remit les places de
Sevezana, de Serzanella, et de Pietra Santa, et les cittadelles de Pise
et de Livourne ; ce roy donna la liberté aux Pisans qui estoient
alors sujets de la République de Florence.
Les Florentins, qui avoient esté déjà très
mécontens de ses manières hautaines à leur
égard et de ce qu'il avoit par sa témérité
provoqué sans raison l'indignation d'un si grand Roy, le furent
encore davantage quand ils sceurent que de sa seule authorité et
sans les avoir consultez il avoit remis aux François les
principales places de leur Estat ; ainsy la Seigneurie le condamna et
ses deux frères, le 9 novembre 1494 comme rebelles, mit leurs
testes à prix, confisqua leurs biens et restablit la
République dans son ancienne et pleine liberté. Pierre se
retira d'abord a Boulogne et puis à Venise avec ses
frères et Jule leur cousin germain.
Ainsi par la témérité d'un jeune homme la maison
de Médicis perdit la puissance presque souveraine qu'elle avoit
acquise et conservée pendant soixante années dans
Florence par la prudence et la générosité de son
bisayeul et de son père.
Charles VIII estant peu après entré dans Florence et
ayant esté engagé par le comte de Bresse frère du
duc de Savoye à restablir Pierre de Médicis dans sa
première authorité sous prétexte qu'en ayant
l'obligation à la France il s'attacheroit à elle, luy
envoya un exprez à Boulogne pour le faire revenir à
Florence ; mais comme il estoit party précipitamment de Boulogne
et qu'on ne sçavoit ou il s'estoit retiré, tout ce que le
Roy fit pour luy fut de faire révoquer par la République
le décret par lequel sa teste et celles de ses frères
avoient esté mises à prix et leurs biens confisquez
à condition qu'ils n'approcheraient pas de plus de cent milles
de la ville de Florence, et du reste il laissa aux Florentins le
gouvernement de leur République, et fit alliance avec eux ;
après quoy il fut à Rome et se rendit maistre du royaume
de Naples.
ARTICLE VI
Restablissement des Médicis dans Florence et leur seconde expulsion.
Les Florentins restablirent dans leur République le gouvernement
populaire, ainsy qu'il y avait esté autrefois, élurent
Soderini pour gonfalonier perpétuel, eurent tant de
reconnaissance envers le Roy Charles que l'empereur Maximilien,
Ferdinand roy d'Aragon, les Vénitiens et Ludovic Sforza duc de
Milan s'estant peu après liguez contre luy, ils furent les seuls
Italiens qui luy offrirent de persister dans son alliance, mais il les
en refusa leur remit leurs places que Pierre de Médicis luy
avoit mises entre les mains et cependant confirma la liberté
qu'il avoit donnée aux Pisans.
Louis XII se ligua en 1499 avec les Florentins qui luy promirent de luy
aider à conquérir le royaume de Naples pourveu qu'il les
aidast à remettre Pise sous leur obéissance ; en effet il
leur donna l'année suivante quelques troupes pour subjuguer
cette ville ce qu'ils ne purent faire alors; ce Roy continua tellement
l'affection qu'il portoit aux Florentins qu'il fit son possible en 1302
pour s'opposer à la ligue que plusieurs seigneurs italiens
avoient faite pour restablir Pierre de Médicis dans la
seigneurie de Florence.
Pierre de Médicis, après avoir erré dans son exil
pendant dix ans, prit party dans les troupes du roy Louis XII pour
tascher d'acquérir ses bonnes grâces, et s'estant
trouvé en 1504 à une action où les François
furent défaits près de la rivière de Garigliano,
tomba et se noya dans cette rivière ; il laissa un fils
nommé Laurent.
Les Florentins persistèrent dans l'alliance du roy Louis XII, et
mesme aprez que le pape Jules II se départant de la ligue qu'il
avoit faite à Cambray avec ce Roy et avec l'empereur Maximilien
et Ferdinand roy d'Aragon contre les Venitiens, eut fait avec ces
derniers, ce mesme Empereur et le roy Ferdinand une ligue contre les
François à laquelle il donna le nom de sacrée, les
Florentins qu'il sollicita d'y entrer, non seulement le
refusèrent, mais consentirent qu'un concile
général que Louis XII fit convoquer pour déposer
le pape Jules II, tint dans la ville de Pise, dont ils s'estoient
rendus maistres en 1509. Jules II en fut tellement irrité contre
les Florentins que les François ayant esté chassez
d'Italie en 1512, il engagea ses alliez à leur faire la guerre
pour les obliger à restablir la maison de Médicis dans le
gouvernement de cette République.
Raimond de Gardone, vice-roy de Naples pour le roi Ferdinand, s'estant
en conséquence approché de Naples avec l'armée du
Roy son maistre et les troupes des autres alliez fit déclarer
aux Florentins que l'intention de la ligue n'estoit point de priver
leur République de sa liberté et de son domaine, mais que
l'on souhaitoit que pour la seureté de l'Italie on
déposast le gonfalonier Soderini qui estoit entièrement
dévoué à la France et que les Médicis
pussent rentrer dans leur patrie, non point pour y estre chefs du
gouvernement comme leurs ancestres l'avoient esté, mais pour y
vivre comme particuliers, soumis au gouvernement et aux magistrats
ainsi que les autres citoyens. Les Florentins consentirent d'abord de
recevoir ainsy les Médicis, et refusèrent de
déposer leur Gonfalonier ; mais dans la suite ils convinrent de
le déposer et de recevoir dans leurs villes les Médicis
et ceux qui les avoient suivis, pour y vivre comme personnes
privées, avec faculté de retirer, dans un certain temps
leurs biens qui .avoient esté confisquez et vendus en
remboursant aux acquéreurs le prix de leur acquisition et les
améliorations qu'ils y avoient faites, et les Florentins
entrèrent dans la ligue.
Cela fut ainsy accordé le (31 août) 1512, mais le cardinal
de Médicis estant le lendemain entré dans Florence et
ayant mené avec luy son frère Julien et un grand nombre
d'officiers et de soldats, il leur fit prendre les armes et attaquer le
palais dont ils se rendirent maistres ; après quoy, Julien de
Médicis obligea le nouveau gonfalonier à convoquer le
peuple dans la place du Palais où les soldats contraignirent
ceux qui s'y estoient rendus à faire un acte par lequel le
peuple transféra toute son authorité à cinquante
hommes que le cardinal de Médicis nomma, et qui
ordonnèrent que la forme du gouvernement seroit restablie au
mesme estat qu'elle avoit esté avant l'année 1494, et les
Médicis ayant establi une garde de soldats au Palais y reprirent
la mesme authorité qu'ils y avoient eue autrefois, et
l'exercèrent avec un pouvoir plus arbitraire et plus souverain
que leur père n'avoit fait.
Le pape Jules II estant mort en 1513, le cardinal de Médicis luy
fut élu pour successeur et prit le nom de Léon X ; il
promut aussitost aprez au cardinalat Jules de Médicis, fils de
son oncle Julien et qui estoit alors chevalier de l'Ordre de Saint-Jean
de Jérusalem. Julien de Médicis, son frère,
gouverna sous ses ordres la République de Florence avec beaucoup
de prudence et de douceur et mourut en 1516 sans avoir eu d'enfant de
Philiberte de Savoye duchesse de Nemours, fille de Philippe duc de
Savoye et tante du roy François Ier, il laissa un fils naturel
nommé Hipolitequi fut depuis promu au cardinalat et mourut
en .
Léon X subrogea à Julien son frère Laurent son
neveu fils de Pierre II au gouvernement de la République, puis
l'investit en 1516 du duché d'Urbin qu'il osta au duc
François-Marie de la Rovere qui y rentra par la force des armes
et le deffendit par la même voye contre Laurent qui tira des
Floren-rentins plus de cinq cent mille escus pour subvenir aux frais de
cette guerre. 11 épousa Magdelaine de la Tour, fille de Jean de
la Tour, comte d'Auvergne et de Boulogne, qui mourut le 19 avril 1519,
après estre accouchée quinze jours auparavant d'une fille
nommée Catherine de Médicis. Laurent mourut six jours
après laissant encore suivant la plus commune opinion un fils
naturel nommé Alexandre né en 1510, que quelques autheurs
ont voulu attribuer au pape Clément VII, lorsqu'il estoit encore
chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
Le pape Léon X s'estant vers ce mesme temps ligué avec
les ennemis du roy François Ier pour le chasser de l'Italie
ainsi que l'on fit en 1521, tira encore plus de cinq cent mille escus
des Florentins pour les dépenses de cette guerre ; il mourut en
cette mesme année et eut pour successeur Adrien VI qui mourut en
1523.
Jule, cardinal de Médicis, qui aspirait à la
papauté tira des Florentins trois cent mille escus qu'il donna
aux généraux de l'empereur Charles-Quint et au vice-roy
de Naples pour les avoir favorables; il fut moyennant cela élu
pour successeur d'Adrien et prit le nom de Clément VII ; il
establit le cardinal de Cortone à Florence pour gouverner cette
République sous ses ordres.
Le roy François Ier ayant esté fait prisonnier à
la bataille de Pavie en 1525, et obligé par le traité de
Madrid de céder à l'empereur Charles-Quint le
duché de Bourgogne et de luy remettre ses deux fils aisnez en
ostages pour assurance de l'exécution de ce traité,
contre lequel il avoit protesté avant que d'y donner son
consentement, le pape Clément VII craignit les suites de la
puissance excessive de cet Empereur, fit en 1526 à Cognac avec
ce Roy. la seigneurie de Venise et François Sforze duc de Milan
une ligue qui fut qualifiée sainte pour obliger l'Empereur
à rétablir François Sforze en possession du
duché de Milan et à élargir les deux fils du Roy
moyennant une rançon convenable, et sans l'obliger à
remettre à Charles le duché de Bourgogne en toute
souveraineté ce qui n'estoit pas en son pouvoir.
Les Florentins n'entrèrent pas nommément dans ce
traité par la crainte qu'ils eurent que s'ils l'avoient fait
l'Empereur ne leur causast beaucoup de dommage dans leur commerce. Il y
fut seulement dit que les confederéz maintiendroient la famille
de Médicis, c'est à sçavoir les héritiers
du Pape, dans la primauté et la dignité dont elle
jouissoit d'ancienneté dans la République de Florence et
que Sa Sainteté promettoit que cette République ne feroit
rien contre les intérêts de la Sainte-Ligue et qu'au
contraire elle seroit très obéissante à Sa
Sainteté, et on adjousta par un article séparé
qu'elle seroit traitée par les Conféderez aussi
favorablement que si elle avoit esté nommée dans le
traité comme une des parties contractantes. Le Pape tira des
Florentins des troupes et six cent mille escus pour soustenir cette
guerre qui ne réussit pas fort heureusement pour luy, la ville
de Rome ayant esté prise d'assaut le 6 may 1527 par
l'armée impériale commandée par le conestable de
Bourbon, et ce Pape ayant esté obligé de se retirer au
chasteau Saint-Ange où il fut assiégé.
Le cardinal de Gortone ayant appris cette nouvelle fut saisy d'une si
grande frayeur qu'il résolut de se retirer de Florence, et ayant
fait assembler les bourgeois le 16 may leur déclara qu'il leur
laissoit l'administration libre de la République, stipulant
seulement qu'Alexandre et Hippolite de Médicis, petits-neveux du
Pape, pourraient demeurer à Florence comme simples particuliers
et qu'il y auroit une abolition de tout le passé ; il se retira
ensuite à Luques avec ces deux petits-neveux du Pape,
après quoy les Florentins restablirent le gouvernement populaire
et élurent un gonfalonier, et comme ils estoient
extrêmement irritez contre les Médicis à cause que
ceux qui avoient gouverné l'Estat de Florence en leur nom,
avoient exigé d'eux toutes les sommes dont ils avoient cru avoir
besoin pour leurs entreprises, mais avoient, outre cela, commis
hardiment toutes sortes de crimes et de violences, ils crurent avoir
trouvé une occasion favorable pour s'en vanger et recouvrer leur
liberté ; ils poursuivirent rigoureusement tous les bourgeois
qui avoient esté amis des Médicis, effacèrent
toutes leurs armoiries qui estoient sur les édifices publics
qu'ils avoient bastis, mirent en pièces les statues de
Léon X et de Clément VII qui estoient dans
l'Église de l'Annonciade et quoyque le gonfalonier taschast
d'arrester leur emportement, firent tout ce qu'ils purent imaginer
pouvoir estre le plus désagréable à Clément
VII.
article VII
La République de Florence est obligée de se soumettre
à l'arbitrage de l'empereur Charles-Quint pour la forme de son
gouvernement.
Le pape Clément VII fit au mois de juin 1529 sa paix avec
Charles-Quint par un traité passé à Barcelone, par
lequel il obtint entre autres choses que cet Empereur donnerait en
mariage Marguerite d'Autriche sa fille naturelle, qui n'avoit alors que
six à sept ans, à Alexandre de Médicis son
petit-neveu, et qu'en cette considération, il le restablirait
dans Florence avec la mesme authorité que ses ancestres y
avoient eue avant qu'ils en eussent esté chassez.
Cet Empereur faisant la paix avec François Ier à Cambray,
au mois de juillet de la mesme année, stipula entre autres
choses que ce Roy procureroit que la communauté de Florence
s'accommoderoit avec le Pape dans quatre mois après la
ratification de ce traité, moyenant quoy et non autrement elle y
seroit comprise.
Les Venitiens et François Sforce firent aussy peu aprez la
paix avec Charles-Quint à des conditions raisonnables, et il n'y
eut que les Florentin: qui à cause de l'engagement que cet
Empereur avoit pris avec le Pape ne le purent obtenir en conservant
leur liberté ainsy qu'ils le souhaitoient, de sorte qu'estant
résolus de le deffendre jusqu'à la dernière
extrémité, l'Empereur les déclara rebelles et
déchus de tous les privilèges qui leur avoient
esté accordez par les précédens empereurs, et
Philibert de Châlons prince d'Orange général de
l'armée impériale, après avoir pris les places
situées dans l'estat de cette République, mit le
siège devant Florence et y fut tué.
Ferrand de Gonzague, gouverneur du duché de Milan, luy
succéda au commandement de l'armée impériale et
continua le siège avec tant de vigueur que les Florentins
après l'avoir soustenu pendant dix mois furent obligez d'envoyer
à Ferrand de Gonzague quatre ambassadeurs, qui 1e 10 aoust 1530
passèrent avec le général de l'Empereur et avec
Barthelemy Valori commissaire apostolique, un traité ou
capitulation par laquelle entre autres conditions le Pape comme chef de
la maison de Médicis et la République de Florence
donnèrent à l'Empereur, par forme de compromis et
d'arbitrage, le pouvoir de régler entre cy et trois mois, la
forme du gouvernement qui seroit estably dans la République de
Florence, en sorte cependant qu'elle conserveroit sa liberté et
l'usage de ses anciennes loix. En attendant que l'Empereur eust fait
sçavoir sa volonté, le commissaire apostolique ayant
fait, suivant la coustume, assembler le peuple dans la place du Palais
l'engagea à nommer douze hommes attachez à la maison de
Médicis, avec pouvoir d'establir telle forme de gouvernement
qu'il leur plairoit, et ces douze hommes restablirent les choses en
l'état où elles estoient avant l'année 1527.
ARTICLE VIII
Décret de l'empereur Charles-Quint pour l'établissement
de la forme du gouvernement de la République de Florence.
Comme le décret arbitral que l'Empereur rendit en
conséquence de cette capitulation est le principal titre sur
lequel le droit de la maison de Médicis est fondé, et
suivant lequel il semble qu'on doit régler la succession, je
crois nécessaire de rapporter un peu au long toutes les clauses
qui y sont portées en sorte que c'en est comme une fidèle
traduction.
L'Empereur fut plus de neuf mois sans publier son décret,
à cause du temps qu'il fallut pour en concerter les clauses avec
le Pape; cependant comme il estoit dit par la capitulation de Florence,
qu'il seroit rendu dans les trois mois suivans, il fut daté
comme rendu le 28 octobre 1530 à Ausbourg, où l'Empereur
et les électeurs, princes et estats de l'Empire estoient alors
assemblez en une Diète qui est fameuse par la confession de foy
que les Luthériens y présentèrent à Sa
Majesté Impériale.
L'Empereur y exposa d'abord, qu'estant venu en Italie pour y restablir
la paix il n'y avoit eu que la ville de Florence qui aprez avoir pris
les armes contre luy et contre l'Empire et avoir attaqué son
royaume de Naples et l'Estat de l'Église dont il estoit le
défenseur n'avoit point voulu rentrer dans son devoir et luy
avoit fermé les portes et à ses troupes lorsqu'il
s'estoit présenté pour y entrer dans le dessein de la
conserver et nullement de la ruiner, ce qui l'avoit obligé
d'ordonner à ses troupes de la tenir assiégée
jusqu'à ce qu'elle se repentist de ce qu'elle avoit fait et se
soumist à l'obéissance qu'elle luy devoit et à
l'Empire, que cette ville s'estant rendue à luy aprez un long
siège à condition qu'il pourroit disposer à sa
volonté de la forme de son gouvernement, il auroit pu
légitimement pour les raisons marquées cy-dessus la
priver de tous les privilèges que les précédens
Empereurs luy avoient accordez et disposer ainsi qu'il lui plairoit de
son Estat comme luy estant dévolu et à l'Empire, que
cependant voulant user de clémence et ayant égard aux
intercessions de Notre Très Saint Père le pape
Clément VII qui avoit extrêmement à cœur le salut,
le repos et la liberté de cette ville, il avoit de son propre
mouvement, de sa certaine science et de propos
délibéré, par le conseil de plusieurs comtes,
barons et seigneurs de l'Empire et par la plénitude de sa
puissance impériale, remis et pardonné à la
République de Florence tout ce qu'elle avoit commis contre luy
et contre l'Empire et ordonnoit et vouloit que la République de
Florence, ses citoyens, habitans et sujets jouissent en vertu de cette
grâce de tous privilèges, droits, exemptions et
libertés par toute l'étendue de l'Empire romain, et en
tous autres lieux, qu'outre cela ne voulant rien refuser à Notre
Saint Père le Pape et voulant que les Florentins connussent
l'obligation qu'ils avoient à Sa Sainteté, il ratifioit,
approuvoit et confirmoit tous les privilèges, droits, exemptions
et privilèges que les précédens empereurs avoient
accordez à la République de Florence et dont elle
jouissait avant qu'elle se fust soustraite à la
fidélité et à l'obéissance qu'elle devoit
à Sa Majesté Impériale et à l'Empire et
recevoit la république de Florence avec le gouvernement qu'il y
alloit establir sous sa protection et sauvegarde et sous celle de
l'Empire.
Il adjousta que pour conserver à perpétuité la
liberté, la paix, le repos et la tranquillité de la
République de Florence en sorte qu'elle demeurast à
jamais sous sa foy et son obéissance et sous celle de l'Empire
il restoit encore que tant en vertu de sa dignité
impériale et de l'authorité qu'il avoit de pourvoir au
salut et à la paix des Républiques, qu'en
conséquence de la convention passée entre l'illustre
Ferdinand de Gonzague en son nom et la République de Florence
lorsqu'elle s'estoit rendue, il establist la forme du gouvernement de
cette république, que comme il n'avoit point d'autre objet que
de luy procurer la paix, le repos et la liberté, ainsy
qu'à toute l'Italie il avoit considéré que cette
république et la pluspart des autres avoient esté mieux
et plus heureusement gouvernées sous la conduite d'un seul
magistrat qui en avoit eu le principal soin, que lorsque la puissance
avoit esté déférée à des magistrats
populaires, que tant que la très illustre famille des
Médicis qui avoit fleury longtemps et avec raison dans cette
République en avoit eu le principal soin comme chef du
gouvernement, les affaires publiques et particulières y avoient
esté en très bon estat, et son territoire et sa
dignité avoient augmenté et qu'au contraire, lorsque par
la malice et par l'envie de ses ennemis, elle avoit esté
chassée et que l'authorité avoit passé à la
faction populaire, alors ainsy qu'il avoit paru manifestement par cette
dernière calamité et par le saccagement de son
territoire, ses affaires publiques et particulières estoient
tombées en ruine, et elle avoit esté réduite
à une telle misère, que si la clémence du Pape et
la sienne ne l'avoient point secourue, elle auroit perdu
entièrement son domaine et sa liberté; qu'ainsy
désirant pourvoir comme il falloit au salut, à la
liberté, au repos et à la tranquillité de cette
République, establir la paix générale en Italie et
conserver, ainsy qu'il y estoit obligé, sa dignité et son
authorité et celles de l'Empire romain afin que la puissance ne
revinst point à la faction populaire et qu'ainsy le domaine et
la liberté de cette République ne fussent point en danger
et ne pussent point estre opprimez, il ordonnoit, déclaroit,
vouloit et commandoit par ces présentes de son propre mouvement
certaine science et authorité impériale qu'à
l'avenir et à perpétuité les magistrats de cette
République seroient eslus et establis en la mesme manière
qu'on les élisoit et establissoit avant que la famille des
Médicis en eust été chassée et que cette
très illustre famille, et en premier lieu le très
illustre Alexandre de Médicis, duc de la ville de Penna à
qui il avoit promis en mariage l'illustre Marguerite, sa fille
naturelle, tant qu'il vivroit, et aprez sa mort, ses fils
héritiers et successeurs masles issus de luy en gardant toujours
l'ordre de la primogéniture, et à leur défaut
celuy qui sera le plus prochain masle de la maison de Médicis et
qui luy aura succédé soit et doive estre jusqu'à
l'infiny, en suivant l'ordre de la primogéniture chef de la
République, du gouvernement de l'Estat et du régime de
Florence, en sorte que cette ville et cette République, avec son
Estat et son domaine soit particulièrement régie,
maintenue et conservée par ses soins et sous sa protection, et
que tant l'illustre Alexandre que les siens dont il vient d'estre
parlé, doivent assister et présider à toutes les
assemblées des magistrats qui existent présentement ou
qui seront à l'avenir establis en la manière cy-dessus ou
autrement, de mesme que si celuy qui devra y présider dans son
temps, suivant la disposition cy-dessus avoit été
élu et désigné par les suffrages publics ,à
ces magistratures pour en estre le chef.
Il ordonna ensuite que si à l'avenir la République de
Florence osoit violer ou renverser cet édit impérial ou y
contrevenir par quelque entreprise téméraire que ce fust,
elle seroit regardée comme ingrate, rebelle et
désobéissante à luy, et à l'Empire romain,
et ennemie de son salut, de sa liberté et de son repos,
privée de remission, pardon, confirmation et grâces
marquées cy-dessus et de tous les privilèges,
concessions, exemptions, libertez et grâces qui luy avoient
esté accordées par les précédens empereurs
ou rois des Romains et par le Saint-Empire romain, et que tout son
domaine seroit censé dévolu à luy et à
l'Empire.
Le reste de ce décret contient diverses clauses par lesquelles
l'Empereur déroge à tout ce qu'on pourroit
alléguer au contraire de ce qui y est porté, et deffend
d'y contrevenir directement ni indirectement sous peine de cent marcs
d'or pur; il est signé de la main de cet Empereur,
contresigné par son commandement par Alphonse Valdissino et
scellé d'un sceau d'or.
Je croy nécessaire de rapporter icy les termes mesmes en latin
qui marquent l'institution du duc Alexandre et l'establissement de la
succession perpétuelle dans la maison de Médicis, tenore
prœsentium, statuimus et decernimus ut deinceps perpetuis futuris
temporibus magistratus dictae Reipublicae iisdem modis et forma
eligantur et instituantur quibus ante ejectam ipsam illustrissimam
Medicorum familiam eligebantur, disponebantur atque instituebantur ;
utque aedem ipso, illustrissima Medicorum familia et imprimis
illustrissimus Alexander de Médicis dux civitatis Pennae cui
nuper illustrant Margaritam filiam nostram naturalem despondimus
quamdui vixerit atque eo e vivis sublato ejus filii haeredes et
successores ex suo corpore descendentes masculi ordine primogeniturae
semper servato et illis deficientibus qui proximior masculus ex ipso
Medicorum familia erit et sic usque ad infinitum jure primogeniturae
servato sit atque esse debeat dicta Reipublicae gubernii status et
regiminis caput, etc.
Il paroist en premier lieu que quoyque Charles-Quint fasce souvent
dans ce décret mention de la conservation de la liberté
et du maintien des anciennes loix de la République de Florence
qui estoient portez expressément dans la capitulation de cette
ville, il l'a en effet assujettie à perpétuité
à la domination de la maison de Médicis, et qu'il n'a pas
décidé les choses seulement comme arbitre nommé
par la Capitulation mais aussi en vertu du droit que la dignité
impériale luy donnoit sur des sujets de l'Empire.
Secondement qu'à l'égard de la succession l'Empereur a
appelle expressément à la succession d'Alexandre ses
seuls enfants masles eo e vivis sublato filii ex suo corpore descendentes masculi
et qu'au défaut d'enfans masles il doit avoir pour successeur
son plus proche parent masle de la famille de Médicis, et illis deficientibus qui proximus masculus ex ipsa Medicorum familia erit.
Et enfin que cette succession et substitution masculine au
défaut d'enfans plus proches de la famille de Médicis
doit durer à l'infiny, usque ad infinitum jure primogeniturae servato.
ARTICLE IX
Alexandre de Médicis est établi chef de la République et assassiné.
Ce décret ayant esté envoyé à Florence un
ambassadeur que l'Empereur y avoit le fit traduire en Italien et le fit
voir en original aux principaux de la ville afin de leur faire
connaître la volonté de sa Majesté
Impériale, ayant ensuite convoqué le 6 juillet 1531 tous
les bourgeois de la ville il fit lire en leur présence ce
décret en latin avec la traduction italienne qu'il en avoit fait
faire. Après quoi Benoît Bondelmonte qui estoit alors
gonfalonier fit un discours dans lequel après avoir fait
connoistre à ceux qui estoient présens la
tranquillité que ce décret alloit apporter dans leur
ville, il déclara à haute voix qu'il le recevoit, et
promettoit de l'observer ; tous les corps des magistrats de la ville
s'approchèrent ensuite l'un après l'autre de la table sur
laquelle ce décret estoit posé, le touchèrent de
la main déclarant pareillement qu'ils l'approuvaient et
promirent avec serment de l'observer, et quelques autres principaux
bourgeois amis de la maison de Médicis qui n'estoient point
alors dans la magistrature et firent de mesme.
Ainsi les titres de Gonfalonier et des autres magistrats de la
République furent abolis, la Principauté fut establie
dans Florence, la manière d'élire des magistrats fut
changée, et leur choix ne dépendit plus que de la seule
volonté du Prince de la République.
Alexandre de Médicis qui estoit alors en Flandre auprez de
l'Empereur s'estant peu après rendu à Florence fut
installé dans sa nouvelle dignité, et fut qualifié
duc de la République de Florence qui estoit un titre que le pape
Clément VII n'avoit point demandé pour luy et que
Charles-Quint son beau-père ne luy donna point quand il luy
escrivoit; il establit pour le gouvernement de la République un
conseil de quarante-huit hommes auquel il présidoit.
Il se faisoit donner dix-huit mille escus pour la dépense de sa
maison, ce que les Florentins trouvoient estre excessif et fort
à charge à l'Estat.
Le roy François Ier, pour mettre le pape Clément VII dans
ses intérests maria deux ans après en 1533 Henry duc
d'Orléans son second fils et qui fut depuis le roy Henry II avec
Catherine de Médicis fille de Laurent duc d'Urbin, sœur du duc
Alexandre de Médicis et petite-nièce du pape
Clément VII qui mourut l'année suivante.
Marguerite d'Autriche estant parvenue en un âge nubile
épousa en 1536 Alexandre de Médicis qui fut
assassiné le 6 janvier 1537 par Laurent de Médicis
appelle communément Laurentin, c'est-à-dire petit Laurent
qui estoit son plus proche parent et son confident, et prit pour
prétexte de vouloir remettre la République en
liberté, cependant il n'en fit aucune démonstration et
s'enfuit aussitost hors de Florence. Alexandre ne laissa point d'enfans
légitimes, mais seulement deux enfans naturels sçavoir un
fils nommé Jule qui n'avoit alors que trois ans et qui fut
ensuite capitaine des galères, et une fille nommée Julie
qui épousa en premières nopces François Cantelmi
et en secondes Bernard de Médicis baron d'Ottaiano duquel il
sera parlé cy-après.
Alexandre et Jules de Médicis son fils ont esté les
derniers masles de la branche de cette maison issue de Cosme
père de la patrie.
article x
Des seigneurs de la maison de Médicis issus de Laurent de
Médicis surnommé l'Ancien jusqu'à Cosme 1er
successeur du duc Alexandre.
Laurent de Médécis surnommé l'Ancien frère
cadet de Cosme père de la patrie vescut comme un honneste homme
et un bon citoyen, extrêmement aimé du peuple, et mourut
en 1440 dans un âge peu avancé ne laissa qu'un fils
nommé :
Pierre-François de Médicis qui fut du nombre des
seigneurs en 1469 et mourut en 1474 laissant deux fils nommez Laurent
et Jean 1er de ce nom qui furent ennemis mortels de Pierre de
Médicis et après son expulsion possédèrent
les premières charges de la République.
Laurent fut ayeul de Laurentin ou petit Laurent qui comme il vient
d'être marqué assassina en 1537 le duc Alexandre son
cousin dont il estoit le favori et ensuite s'enfuit et après
avoir esté condamné à mort par contumace comme
criminel de Lèse-Majesté et avoir longtemps erré
en divers lieux fut tuë à Venise par ordre du duc Cosme de
Médicis.
Jean de Médicis Ier du nom mourut en 1504, laissant de son
mariage avec Catherine Sforce fille de Galeas-Marie Sforce duc de Milan
un fils nommé:
Jean de Médicis IIe du nom surnommé l'Invincible qui fut
un homme de mérite et un grand capitaine et mourut en 1526 des
blessures qu'il avoit receues en commandant les troupes du pape
Clément VII contre l'empereur Charles-Quint ; il laissa de son
mariage avec Marie fille de Jacques Salviati un fils nommé :
Cosme de Médicis, qui couroit en 1537 sa dix-huitiéme
année lorsqu'Alexandre de Médicis fut assassiné.
Aussitôt qu'on sceut à Florence cette mort le conseil des
quarante-huit qui avec le Prince avoit l'authorité souveraine
s'assembla pour délibérer sur la forme du gouvernement
qu'il establiroit dans la République, plusieurs
proposèrent de restablir l'ancienne liberté en abolissant
le nom et la souveraine authorité d'un duc ; d'autres pour
éviter les fréquens désordres excitez par le
peuple quand il avoit eu le gouvernement vouloient establir une
Aristocratie, mais la plus grande partie fut d'avis que pour ne point
irriter l'Empereur en changeant entièrement la forme du
gouvernement qu'il avoit establie on créast un chef de la
République qui fust aussy de la maison de Médicis auquel
on donnast un revenu médiocre et qui fust obligé
d'obéir aux loix et aux anciennes ordonnances de l'Estat et de
prendre l'avis des principaux de la République lorsqu'il
s'agiroit d'affaires de conséquence ; quelqu'un proposa le petit
Jules de Médicis fils naturel d'Alexandre ; mais son bas
âge et le vice de sa naissance furent cause que cette proposition
fut rejettée, et suivant l'avis et les fortes instances du
cardinal Cibo qui s'estant alors rencontré par hasard à
Florence avait esté invité de se trouver à cette
assemblée et qui estoit parent de la maison de Médicis sa
mère estant sœur du pape Léon X, le conseil choisit pour
chef de la République Cosme de Médicis duquel on vient de
rapporter les ancestres et qui estoit alors le plus proche parent du
feu duc quoyque son cousin du cinquième ou sixième
degré, à condition qu'il ne porteroit point le titre de
Duc qu'on prétendait ne point convenir à persone dans une
ville libre.
On dressa les capitulations ou conditions auxquelles on devait luy
offrir la Principauté et qui portoient qu'il auroit douze mille
escus d'appointement, qu'il auroit le titre de Chef et non de Duc de la
République et observeroit les loix et les ordonnances de la
ville ; Cosme ayant accepté et presté serment d'observer
ces conditions fut proclamé le 9 janvier 1537 chef de la
République de Florence.
ARTICLE XI
L'empereur Charles-Quint approuve l'élévation de Cosme de
Médicis I'T du nom à la dignité de Chef de la
République de Florence.
L'Empereur après la mort funeste du duc Alexandre son gendre,
voulant prévenir tous les désordres qui pouvoient
s'émouvoir à cette occasion dans la République de
Florence, commit par un acte fait à Valladolid le dernier
février 1537 Jean-Ferdinand Manriquez marquis d'Aguilar et
Ferdinand de Sylva comte de Cifuentes ses ambassadeurs à Rome
pour que tous deux ou un d'eux se transportast à Florence pour y
faire tout ce qu'il conviendrait pour y affermir le repos public
promettant de le confirmer et approuver; le comte do Cifuentes se
rendit en conséquence de l'ordre de l'Empereur à Florence
ou après avoir appris la manière dont les choses
s'estoient passées depuis la mort d'Alexandre il fit dans le
palais de Médicis le 12 juin 1537 un décret ou
procès-verbal dans lequel il expose d'abord que suivant le
privilège accordé au duc Alexandre et à la famille
de Médicis après la mort de ce duc sans fils issus de luy
le plus proche de la famille de Médicis estoit
appelle à estre primat et chef du gouvernement et de tous les
magistrats de la République de Florence, que si le parricide
Laurent de Médicis n'avoit point commis ce crime de
Lèse-Majesté il auroit pu aspirer à cette
dignité, mais qu'ayant esté condamné comme
criminel de Lèse-Majesté et ainsy privé de tous
ses droits cette Principauté avoit esté dévolue
à Cosme de Médicis comme au plus proche parent et le plus
avancé en âge de la maison de Médicis et il avoit
esté en exécution de ce privilège et suivant
l'intention de Sa Majesté Impériale déclaré
par un décret public Primat et chef de la République, du
gouvernement et de l'estat de Florence, et qu'ainsy ce comte
s'attachant à ce privilège et en vertu de
l'authorité impériale dont il estoit revêtu,
déclaroit que la Primauté de la République, de
l'estat et du gouvernement de la ville, du domaine et de la seigneurie
de Florence estoit deue à l'illustre Cosme de Médicis,
fils du magnifique Jean de Médicis en excluant Laurent et ses
descendans comme inhabiles, incapables, et ayant esté privez
légitimement de leur droit, que l'illustre Cosme estoit et
devoit estre chef et primat de la République, du gouvernement,
de l'estat et du domaine de Florence, en sorte que cette
République avec sa ville, son estat et son domaine, fust
régie, maintenue et conservée sous son principal soin et
protection et que luy tant qu'il vivroit et après sa mort ses
fils héritiers et successeurs masles légitimes issus de
luy pussent assister et présider comme primats et chefs dans
toutes les magistratures et jouir par la grâce de l'Em-pereur de
toute l'authorité dont le duc Alexandre jouissoit avant le temps
de sa mort.
Voicy en latin la clause concernant la succession de Cosme :
illustris Cosmus de Médicis debeat esse Reipublicae Florentinae
gubernii, status, atque dominii et regiminis caput et primatus, etc.,
atque eo defuncto ejus filii haeredes et successores ex suo corpore
légitime descendentes masculi ita ut tam praedictus Cosmus quara
sui successores praedicti possint et valeant in omnibus magistratibus
interesse et prœesse ut primatus et caput omnium magistratuum.
Il paroist encore que suivant le décret du comte de Cifuentes il
est clairement spécifié qu'il n'y a que les enfans masles
issus de Cosme Ier qui luy puissent succéder à la
dignité de Chef de la République de Florence.
Les Florentins estant satisfaits de ce que le comte de Cifuentes avoit
ainsy ordonné envoyèrent en Espagne Averard Heritori et
Jean Bandini pour supplier Sa Majesté Impériale de le
voutoir approuver et confirmer ainsy qu'il fit par un décret en
bonne forme avec toutes les clauses comminatoires et
dérogatoires donné à Monçon en Aragon le
dernier jour d'aoust, 1537.
article XII
Cosme de Médicis devient seigneur de Siène et de son territoire.
La ville de Siène ainsy qu'il sera marqué plus amplement
cy-après, partie seconde, art. viii estoit une République
qui avoit un territoire considérable, s'estoit toujours fort
bien deffendu contre celle de Florence et avait conservé
précieusement sa liberté, mais comme elle se vit
déchirée par les factions excitées par quelques
familles nobles qui y estoient establies, elle se mit sous la
protection de Charles-Quint et reçut Hurtado de Mendoza que cet
empereur luy envoya pour gouverneur et qui persuada aux Siénois
de bastir une citadelle pour deffendre leur liberté contre les
nobles de leur ville et contre le duc de Florence.
Quand la citadelle fut bastie il y mit une garnison espagnole et
exercea sur les Siénois une tyrannie si insupportable que pour
s'en délivrer ils se mirent sous la protection du roy Henri II
qui leur fournit des troupes avec lesquelles ils chassèrent les
Espagnols, rasèrent la cittadelle, se mirent en pleine
liberté et se resaisirent de presque toutes les places de leur
territoire.
L'Empereur déclara les Siénois déchus de tous
leurs privilèges, fit assiéger Siène par son
armée commandée par le marquis de Marignan, à
laquelle le duc Cosme joignit ses troupes, et qui nonobstant les grands
secours qu'Henry II luy envoya, obligea les Siénois à se
rendre le 22 avril 1555 en stipulant par la capitulation que l'Empereur
prendrait Siène sous la protection de l'Empire et maintiendroit
la ville dans ses anciens privilèges, les magistrats dans leurs
charges et les habitants dans tous leurs biens, et que les bourgeois
qui voudraient se retirer ailleurs le pourroient faire. Mézeray
adjouste que le traité portoit que les Siénois
dévoient avoir leur liberté et leur République
sauve, mais que l'Empereur leur manqua de foy et subjugua aussitost
cette malheureuse ville.
Ceux qui ne purent se résoudre à vivre ainsy dans la
servitude se retirèrent à Montalcin dans le territoire de
Siène où ils vescurent en forme de République ; le
roy Henry leur continua sa protection et pour se vanger de ce duc qui
avoit pris le party de Charles-Quint contre luy, fit en la mesme
année 1554 avec le pape Paul IV un traité qui avoit pour
fin entre autres choses de restablir Florence en son ancienne
liberté.
L'Empereur donna en 1556 à Philippe II roy d'Espagne son fils
l'investiture de la ville de Siène et de son territoire pour les
tenir en fief de l'Empire avec faculté d'en investir un autre
Prince pour le tenir en fief de la courone d'Espagne et en
arrière-fief de l'Empire, et ce Roy donna en conséquence
en 1557 au duc Cosme pour luy et ses descendans masles nés en
légitime mariage l'investiture de la ville de Siène et de
son territoire, à la réserve de Portohercole, Orbitel,
Telamone, Portolongone dans l'isle d'Elbe et de quelques autres places
qui composent ce qu'on appelle lo stato dei presedii
c'est-à-dire l'estat des garnisons et que ce roy se
réserva et à ses successeurs rois d'Espagne.
En conséquence de celte investiture le duc Cosme rendit hommage
au roi Philippe II et jura tant pour luy que pour ses descendans masles
nez en légitime mariage d'être fidèle vassal et
feudataire immédiat de ce roy et de ses descendans rois
d'Espagne.
Le roy Henry II quitta peu après les desseins qu'il pouvoit
avoir contre le duc Cosme, ayant par le traité de paix qu'il
passa en 1559 à Cateau-Cambrésis avec le roy Philippe II,
promis de retirer ses troupes de Montalcin et des autres places qu'il
tenoit encore dans le Siénois à condition que le duc de
Florence ne feroit aucun tort à ceux qui s'y estoient retirez.
ARTICLE XIII
Cosme est fait grand-duc de Toscane.
Cosme de Médicis estant ainsy devenu souverain de presque toute
la Toscane, souhaita d'estre décoré de quelque titre qui
le relevast au-dessus des autres ducs et s'addressa pour cela au pape
Pie V qui estoit son amy ; il fut d'abord proposé de renouveller
en sa personne le titre de roy d'Hetrurie ou de Toscane que quelques
princes avoient autresfois porté, mais comme Cosme luy mesme
jugea que sa puissance et l'estendue de ses Estats ne correspondroient
pas à un pareil titre, ce Pape se fondant à ce qu'il
marque dans sa bulle de 1569 sur l'exemple de ses
prédécesseurs qui avoient donné à plusieurs
princes le titre de Rois et considérant les grands services que
Cosme duc de Florence avoit rendu à l'Église et de ce
qu'il ne relevoit de persone pour raison de la seigneurie libre et
directe de Florence le déclara et ses successeurs grands-ducs et
princes de la province d'Hetrurie, et voulut qu'ils fussent ainsy
appelles de tout le monde. Voicy les termes latins de la bulle : eo
quod absoluta libertate ratione liberi et directi Dorninii Florentini
nemini sit subjectus eumdern Cosmum ducem ejusque successores pro
tempore existentes Duces perpetuis futuris temporibus in Magnos Duces
et principes provinciœ Hetruriœ respective authoritate Apostolica
tenore presentium creamus, constituimus prononciamus et declaramus.
Cosme prit depuis en conséquence de sa nouvelle qualité
le titre de Sérénissime et se fit traiter d'Altesse pour
se distinguer des autres ducs d'Italie auxquels on ne donnoit alors que
l'Excellence.
L'Empereur Maximilien II trouva très mauvais que le Pape se fust
ingéré de donner un nouveau titre à un prince dont
il prétendoit que les Estats relevoient de l'Empire ; cependant
il y acquiescea dans la suite en considération du mariage de
François prince de Florence et de Siène fils aisné
de Cosme avec Jeanne d'Autriche sa sœur.
ARTICLE XIV
Grands-ducs de Toscane depuis Cosme Ier jusqu'à présent.
Cosme, grand-duc de Toscane Ier du nom, mourut en 1574 laissant de son
mariage avec Léonor de Tolède fille de Pierre de
Tolède qui avoit esté vice-roy de Naples entre autres
enfans deux fils nommez François et Ferdinand qui estoit alors
cardinal. François de Médicis succéda à son
père et eut de son mariage avec Jeanne d'Autriche onze enfans
tant masles que femelles, tous les masles moururent avant leur
père, et il n'avoit que deux filles, scavoir
Éléonore qui avoit espousé Vincent de Gonzague duc
de Mantoue lor du nom et Marie qui n'estoit point encore mariée
lorsqu'il mourut en 1587, et comme on ne regarda pas ses filles comme
capables de luy succéder, Ferdinand de Médicis Ier du nom
son frère luy succéda et ayant renvoyé son chapeau
de cardinal au Pape Sixte V épousa Christine de Lorraine fille
de Charles II duc de Lorraine.
Le pape Clément VIII qui estoit Florentin de la maison des
Aldobrandins portant fort impatiemment que sa patrie se trouvast
privée de la liberté dont elle avoit joui pendant
plusieurs siècles sollicita les Espagnols de s'unir à luy
pour détruire la puissance de la maison de Médicis et
restablir Florence en forme de République. Les Espagnols estans
mécontens de la bonne intelligence que le grand duc Ferdinand
entretenoit avec Henry IV roy de France alors leur ennemy
prestèrent l'oreille à cette proposition, et il y avoit
une négociation assez vive entre les deux cours sur les moyens
de mettre ce dessein à exécution lorsque Ferdinand en
ayant eu quelque soupçon engagea le roy Henry IV à faire
intercepter et déchifrer des lettres que le courier du Pape
portoit par la France à Madrid, et qui ayant fait connoistre
tout le mystère donnèrent moyen à Ferdinand de
rompre sans éclat les mesures qu'on prenoit contre luy. Ce roy
affermit encore depuis leur amitié ayant en l'année 1600
espousé Marie de Médicis fille cadete du grand-duc
François et nièce du grand-duc Ferdinand qui luy donna en
mariage six cent mille escus moyennant lesquels elle renoncea aux
successions de son père et de sa mère. Le duc Ferdinand
Ier mourut en 1608.
Cosme II son fils aisné luy succéda, épousa
Marie-Magdelaine d'Autriche fille de Charles archiduc d'inspruk, et
mourut en 1631, laissant entre autres enfans Ferdinand qui suit et
Marguerite de Médicis qui épousa Edouard Farnèse
duc de Parme.
Ferdinand de Médicis II0 du nom succéda à son
père, épousa en 1634 Victoria délia Rovere
petite-fille et unique héritière allodiale de
François-Marie duc d'Urbin son ayeul et mourut en 1670, laissant
deux fils sçavoir Cosme qui suit et François-Marie de
Médicis qui a esté cardinal jusqu'à ce que voyant
que ses neveux n'avaient pas d'enfans il quitta le chapeau de cardinal
et épousa en 1709 Léonore de Gonzague fille de Vincent de
Gonzague duc de Guastalla, mais il est mort en 1711 sans en avoir eu
d'enfans.
Cosme de Médicis IIIe du nom fils et successeur de Ferdinand a
eu de Marguerite-Louise d'Orléans fille de Jean-Baptiste-Gaston
de France duc d'Orléans second fils du roy Henry IV deux fils et
une fille, sçavoir :
- Ferdinand de Médicis qu'on appelloit grand-prince de
Toscane qui est mort en 1712 sans avoir eu d'enfans de
Violante-Béatrix fille de Ferdinand-Marie, Electeur de
Bavière.
- Jean-Gaston de Médicis né en 1671
présentement fils aisné et héritier
présomptif du grand-duc qui n'a point non plus eu d'enfans de
son mariage avec la princesse Anne-Marie-Françoise, fille
cadète de Jules-François duc de Saxe-Lauembourg, et qui
estoit veuve de Philippe-Guillaume comte palatin de Neubourg, lorsque
le prince Jean-Gaston l'épousa en 1697.
- Et Marie-Anne-Louise de Médicis née suivant Imoff
en 1667 et suivant Hibner en 1677 qui est veuve de Jean Guillaume
Electeur palatin duquel elle n'a point eu d'enfans et que le
Sénat de Florence a déclaré devoir succéder
au grand-duché de Toscane au cas que le grand-duc et le prince
Jean-Gaston son fils viennent à mourir sans enfans.
ARTICLE XV
Des branches de la maison de Médicis issues de Giovenco, en la
lin Juvencus, de Médicis et particulièrement des princes
d'Ottaïano.
Il a esté marqué dans l'article IV
de ce petit ouvrage qu'Averard de Médicis qui fut
gonfalonier de Florence en 1314 eut entre autres enfans deux fils
sçavoir, François de Médicis autheur de tous les
Médicis dont il a esté parlé cy-devant
[Appelé aussi Clarissime.], et Giovenco en latin Juvencus de
Médicis qui est qualifié chevalier et eut un fils
nommé Julien qui fut père de deux fils nommez Julien et
Antoine.
Les descendants de Julien II du nom sont demeurez à Florence
où du temps de la République plusieurs ont esté du
nombre des seigneurs et des gonfaloniers et dans le siècle
passé quelques-uns ont porté le titre de marquis de
Gastelline et plusieurs estoient il n'y a pas beaucoup d'années
et sont peut-estre encore chevaliers de l'Ordre de Saint-Estienne, ils
sont de la branche aisnée des descendans de Julien de
Médicis Ier du nom.
Antoine de Médicis fut père de Bernardet qui fut gonfalonier en 1447.
Laurent de Médicis son fils fut aussi gonfalonier en 1485 et en
1513 et père de Octavien de Médicis qui parvint à
la mesme charge en 1531 ; celuy-cy laissa entre autres enfans deux fils
sçavoir, Bernard qui suit et Alexandre de Médicis qui fut
successivement archevesque de Florence en 1572, cardinal en 1583 et
pape au commencement du mois d'avril 1605; il prit le nom de
Léon XI et mourut après vingt-cinq jours de pontificat.
Bernard de Médicis fut baron d'Ottaiano qui est un bourg
situé près du Mont Vésuve ou de Soma à deux
ou trois lieues de Naples ; il épousa Julie de Médicis
fille naturelle du duc Alexandre de Médicis et qui estoit veuve
de François Cantelmi.
Alexandre de Médicis leur fils fut aussy qualifié baron d'Ottaiano et laissa deux fils nommez Bernard et Octavien.
Bernard de Médicis II du nom obtint du roy d'Espagne le titre de prince d'Ottaiano et mourut sans enfants.
Octavien de Médicis son frère luy succéda fut le
second prince d'Ottaiano et laissa de son mariage avec Diane Caracciola
fille de Marin Caraccioli, prince de Saint-Boniface :
Joseph de Médicis, troisième prince d'Ottaiano que le feu
roy d'Espagne Charles II fit grand d'Espagne en 1700 et qui avoit
épousé Andrée Davalos fille d'André Davalos
prince de Montesarchio, il est mort en 1717.
Octavien de Médicis leur fils qui pendant la vie de son
père portoit le titre de duc de Sarno est à
présent le quatriesme prince d'Ottaiano et élève
de son mariage avec Thérèse de Mari fille de Charles
prince d'Acquaviva un fils nommé :
Joseph de Médicis qui porte apparemment le titre de duc de Sarno.
ARTICLE XVI
Estats du grand-duc de Toscane.
Le grand-duc de Toscane possède dans la Toscane deux Estats appellez l'ancien et le nouveau.
L'ancien Estat comprend le Florentin et le Pisan, c'est-à-dire
les territoires des Républiques de Florence et de Pise.
Il a esté marqué cy-devant article VIII comment la
République de Florence qui avoit racheté sa
liberté de l'empereur Rodolphe Ier fut réduite par
l'empereur Charles-Quint sous la domination de la maison de
Médicis; le territoire qu'elle possédoit avant que
d'avoir sousmis les Pisans s'appelle Florentin et comprend les villes
de Florence, Arezzo, Pistoie, Cortona et Montepulciano outre Borgo San
Sepulcro qui est un ancien engagement du Saint-Siège.
La République de Pise a esté autrefois bien plus
puissante que celles de Florence et de Siene et a eu en mer de grosses
flottes avec lesquelles elle a souvent fait teste aux Mahométans
et sousmis les isles de Corse, de Sar-daigne, de Majorque, de Minorque
et d'Ivice et la ville de Cartage en Afrique, et a eu longtemps des
guerres sanglantes avec les Vénitiens et les Génois; mais
dans la suitte elle fut dépouillée de toutes ces
conquestes,et en l282 un nommé Ugolin s'estant rendu maistre de
la ville de Pise mit fin à cette République ; les Pisans
se soulevèrent quelque temps après contre luy et le
firent mourir ; mais ils obéirent ensuite à d'autre
seigneurs ou tyrans entre lesquels Gérard Aspicani vendit leur
ville à Jean-Galeas Visconti duc de Milan qui la laissa à
Gabriel Visconti son fils naturel ; celuy-cy la vendit aux Florentins,
mais les Pisans ne voulant point leur obéir rappellèrent
le fils de l'un de leurs derniers tyrans nommé Jean Gambacursa
qui s'estant laisser gagner par les Florentins leur remit encore cette
ville.
Les Pisans demeurèrent sous le joug des Florentins
jusqu'à ce que le roy Charles VIII passant par leur ville en
1494 leur rendit la liberté qu'ils conservèrent sous la
protection des Vénitiens jusqu'à ce qu'en 1509 les
Florentins qui estoient alliez de Louis XII profitant de la victoire
que ce Roy venoit de remporter sur les Vénitiens
assiégèrent Pise qu'ils réduisirent par la famine
sous leur obéissance, ainsy quand la République de
Florence passa sous la domination de la maison de Médicis la
ville de Pise y passa aussy et y est demeurée avec son
territoire qui comprend présentement les villes de Pise, de
Volterre et de Livourne et les îles de Gorgane et de la Maillora.
Le nouvel Estat comprend ce qui dépendoit autrefois de la ville
de Siene à qui l'empereur Charles IV accorda en 1347 la
liberté et plusieurs privilèges à condition
qu'elle en seroit déchue si elle se révoltoit contre
l'Empire ; ainsy ayant chassé les Espagnols et receu les
François nous avons vu article XII que l'empereur Charles-Quint
prétendit qu'elle estoit déchue de sa liberté, se
l'appliqua à luy-mesme par des lettres patentes de
l'année 1552, la prit en 1555 et la céda avec son
territoire à Philippe II son fils qui investit de cette ville et
d'une partie de son territoire le grand-duc Cosme Ier et ses descendans
masles pour les tenir en fief de la couronne d'Espagne et en
arrière-fief de l'Empire.
Outre la ville de Siene et son territoire ce nouvel Estat comprend
encore la ville de Montalcin, le vicariat de Radicofano qui
relève du Saint-Siège, les îles de la Fianosa, de
Monte Christo et de Giglio et la partie de l'isle d'Elbe où est
Porto Ferraro avec deux milles autour, le reste de l'isle appartient au
roy d'Espagne qui y possède encore Portolongone.
Le grand-duc possède encore.
- Le comté de Petigliano qui est dans l'Estat de l'Eglise
sur les confins de Pastro et qui a autres fois appartenu à la
maison Ursini.
- Le comté de Santa Fiora qui n'en est pas
éloigné et a appartenu à la maison Sforce dont les
ducs se disent encore comtes de Santa Fiora.
- Pontremole que les Espagnols luy ont vendu et pour les limites
duquel il a des différens avec la République de
Gènes qui ont esté remis à l'arbitrage du duc de
Parme.
- Le marquisat de Castiglione que Léonore de Tolède femme du grand-duc Cosme Ier acheta de Silvia Picolomini.
- La seigneurie de Pietra Santa située entre l'Estat de la République de Luques et le duché de Masse.
- Divers fiefs féminins et biens allodiaux acquis parles
ducs d'Urbin que "Victoire de la Rovere petite-fille et unique
héritière allodiale de François Marie de la Rovere
dernier duc d'Urbin conserva lorsque le pape Urbain VIII réunit
en 1631 ce duché au domaine del'Église et qu'elle porta
en mariage au grand-duc Ferdinand II.
- Le duché de Capistrano et la Citta di Penna au royaume de Naples.
SECONDE PARTIE DE CE MÉMOIRE
Après avoir rapporté dans la première partie de
cet ouvrage une histoire abrégée et la
généalogie de la maison de Médicis et les Estats
que le grand-duc possède présentement, il sera
aisé de faire connoistre dans cette seconde partie les raisons
que ceux qui auront quelques prétentions sur sa succession
pourront alléguer pour soustenir les droits qu'ils
prétendront leur appartenir en cas que le grand-duc et le prince
son fils viennent à mourir sans enfants masles, quoy que je sois
bien persuadé que ce ne sera point la justice des raisons qui
pourront estre alléguées par les uns et parles autres qui
réglera celui auquel ces Estats appartiendront en ce cas et que
ce sera la force qui en décidera, d'autant plus qu'on ne voit
pas mesme en quel tribunal cette affaire pourroit estre
discutée. Elle ne le pourroit estre que par devant le
Sénat ou Conseil de Florence ou par devant l'Empereur et il y a
grande apparence que ce dernier prétendra en estre le seul juge,
prononcera en sa propre faveur, et se servira de sa puissance pour
faire exécuter son jugement.
Je ne laisseray pas de rapporter toutes les raisons que chacun des
préten-dans pourroit alléguer pour recueillir cette
succession en tout ou partie et mesme celles dont les Florentins, les
Pisans et les Siénois pourroient se servir pour se mettre dans
la liberté dont ils ont jouy autres fois, y adjoustant mon
sentiment sur la validité ou invalidité de leurs raisons
dont je laisse le jugement à ceux qui liront ce petit ouvrage.
ARTICLE PREMIER Droits du prince Jean-Gaston de Médicis à la succession du grand-duc son père
Il n'y a pas lieu de douter que ce prince ne doive recueillir tant
l'ancien estat auquel les masles de la maison de Médicis sont
seuls capables de succéder que l'Estat nouveau ou siénois
duquel Cosme Ier a esté investi pour luy et ses seuls descendans
masles.
A l'égard des fiefs féminins et les biens allodiaux que
les femmes sont capables de posséder cela dépend de
scavoir si moyenant la dot que le grand-duc a donné à la
princesse sa fille en la mariant à Jean Guillaume Electeur
palatin elle a renoncé au profit de ses frères à
tout ce qu'elle pourroit prétendre à la succession du
grand-duc. Si cela est ainsy le prince Jean-Gaston recueillera toute la
succession, sinon ils suivront les coustumes des lieux pour le partage
de ces biens.
ARTICLE IIDroits de l'Electrice palatine aux
successions du grand-duc son père et du prince Jean-Gaston son
frère en cas qu'ils meurent sans en fans.
Il est certain en premier lieu que cette princesse ne peut point
à cause de son sexe hériter de la ville et du territoire
de Siene duquel comme il vient d'être marqué Cosme 1er n'a
esté investy que pour luy et pour ses descendans masles de sorte
que les femmes en sont absolument exclues.
Il y a apparence en second lieu qu'elle ne peut point encore pour la
mesme raison hériter du vicariat de Radicofano qui relève
du Saint-Siège attendu que les fiefs relevans du
Saint-Siège sont présumez estre masculins. Mais elle
héritera sans difficulté de tous les fiefs
féminins et de tous les biens allodiaux qui se trouvent dans la
succession de celuy de son père ou de son frère qui sera
mort le dernier.
A l'égard de Florence il est certain que sur les instances du
grand-duc le Sénat de Florence comme représentant tout
cet Estat a passé il y a quelques années un acte par
lequel au cas que le grand-duc et le prince son fils meurent sans
enfans il s'est obligé de reconnaistre pour
héritière et pour grande-duchesse l'Electrice palatine,
mais il n'est pas moins certain et évident
- Que par le décret rendu par l'empereur Charles-Quint le 28
octobre 1530 et accepté par les Florentins, le 6 juillet 1531,
que la dignité de chef de la République de Florence a
esté donnée et substituée à tous les masles
de la maison de Médicis en gardant entre eux le droit de
primogéniture de sorte que les femmes de la maison de
Médicis ne peuvent parvenir à cette dignité.
- Que par le décret rendu par le comte de Cifuentes
commissaire de l'empereur Charles-Quint le 15 juin 1537 et
ratifié par cet Empereur le dernier aoust 1538 la
Primauté dans la République de Florence qui avoit
passé d'Alexandre de Médicis à Cosme de
Médicis ne fut donnée à celuy-cy que pour luy et
ses descendans masles de sorte que les femmes issues de luy en ont
esté exclues.
- Que l'usage de l'exclusion des femmes quoyque les plus proches
s'est toujours observé au profit des masles plus
éloignez, Cosme de Médicis cousin au quatriesme
degré du duc Alexandre luy ayant succédé par
préférence à Catherine de Médicis sœur de
ce duc, et Ferdinand de Médicis Ier du nom ayant
succédé au duc François son frère
préférablement aux deux princesses filles de ce duc.
- Que par le décret de 1530 cette substitution des masles de
la maison de Médicis à la dignité de chef a
l'infiny et qu'ainsy celuy de cette maison qui se trouvera quoyque dans
un degré très éloigné le plus proche parent
du graud-duc pourra prétendre qu'elle soit ouverte à son
profit.
- Et qu'enfin l'acte que le Sénat a fait en faveur de
l'Electrice palatine au préjudice des masles qui restent de la
maison de Médicis estant contraire à ce qui est
porté par ce décret, y a déjà esté
cassé et annuité par avance et que si les Florentins
vouloient le maintenir ils courroient risque de la perte de leurs
privilèges et de la dévolution de leur domaine à
l'Empire portées par ce décret.
ARTICLE III
Des droits que les princes issus des princesses Catherine, Virginie,
Eléonore et Marie de Médicis peuvent prétendre sur
la succession du grand-duc.
Il y a eu cinq princesses de la maison de Médicis qui ont
épousé des princes estrangers et dont il reste des
descendans dont je parleray suivant l'ordre des temps.
- Catherine de Médicis fille de Laurent de Médicis
duc d'Urbin et sœur d'Alexandre, premier duc de Florence, épousa
en 1533 Henry de France duc d'Orléans qui fut depuis le roy
Henry II ; ils eurent quatre fils et deux filles. Les quatre fils
furent les rois de France, François II, Charles IX et Henry III
et François duc d'Alençon qui n'ont point tous
laissé d'enfans.
Les deux filles ont esté Elisabeth et Claude de France.
Elisabeth de France n'a eu de Philippe II roy d'Espagne qu'une fille
qui ait laissé postérité savoir
Catherine-Michèle d'Autriche qui épousa Charles Emmanuel
Ier du nom duc de Savoye duquel sont issus le roy de Sicile et tous les
princes et princesses de la maison de Savoye.
Claude de France fut mariée à Charles II duc de Lorraine
; le duc de Lorraine, les princes et princesses ses enfans en
descendent.
- Virginie de Médicis fille du grand-duc Cosme Ier fut
mariée en 1586 à César d'Este duc de Modène
bisayeul du duc de Modène d'à présent.
- Eléonore de Médicis fille aisnée du
grand-duc François épousa en 1585 Vincent de Gonzague Ier
du nom duc de Mantoue et en eut un fils qui fut François de
Gonzague IV du nom qui luy succéda au duché de Mantoue et
ne laissa qu'une fille nommée Marie qui épousa Charles de
Gonzague II du nom duc de Retel et en eut un fils nommé
Charles III qui fut duc de Mantoue et duquel il ne
reste point de deseendans, et Eléonore de Gonzague qui eut de
son mariage avec l'empereur Ferdinand III Eléonore d'Autriche
qui épousa Charles IV duc de Lorraine et en a eu Léopold
présentement duc de Lorraine.
- Marie de Médicis fille cadete de
ce mesme grand-duc François épousa en
1600 le roy Henry IV et en eut deux fils et trois filles
sçavoir, le roy Louis XIII, Gaston-Jean-Baptiste duc
d'Orléans, Elisabeth qui a épousé Philippe IV roy
d'Espagne, Catherine [Il s'agit évidemment de Christine de France, Madame Royale, qui
veuve dès 1637 du duc de Savoie Victor Amédée 1er fut longtemps régente
au nom de ses fils malgré l'opposition de ses beaux-frères.] qui
a esté mariée à Victor-Amé Ier du nom duc
de Savoye, et Henriette-Marie qui a épousé Charles roy
d'Angleterre.
- Et enfin Marguerite de Médicis qui épousa en 1626 Edouard Farnèse duc de Parme ; je parleray dans l'article suivant
des descendans de cette princesse et de leurs droits et ne parleray
dans celuy-cy que des droits des descendans des quatre premières.
Il est certain en général que les descendans de ces
quatre princesses ne peuvent rien prétendre à la
succession du grand-duc de Toscane sinon aux fiefs féminins et
aux biens allodiaux après la mort sans enfans de l'Electrice
palatine, et mesme après l'extinction des princes et princesses
issus de la maison Farnèse.
Car premièrement ils ne peuvent jamais suivant le décret
de l'empereur Charles-Quint de l'année 1530 et celuy du comte de
Cifuentes de 1537 prétendre de succéder au duché
de Florence qui par ces deux décrets a esté
affecté et substitué a l'infini aux masles de la maison
de Médicis, et nous avons veu que cela a esté ainsy
exécuté des masles de cette maison plus éloignez
ayant exclus les filles de la mesme maison qui estoient plus proches du
dernier duc, en sorte que Catherine de Médicis sœur du duc
Alexandre fut exclue par Cosme Ier son cousin, et que Eléonore
et Marie de Médicis filles du grand-duc François l'ont
esté aussy par Ferdinand leur oncle, de sorte que les descendans
de ces princesses ne peuvent pas prétendre avoir un droit
qu'elle n'ont pas elles-mesmes prétendu avoir.
Secondement, ils ne pourront jamais rien prétendre à
l'estat de Siène qui comme il a esté marqué
cy-devant plusieurs fois, a esté donné par Philippe II en
fief mouvant de la courone d'Espagne au duc Cosme Ior et à ses
descendans masles au défaut desquels il doit revenir au roy
d'Espagne.
Il en est apparemment de même du vicariat de Radicofano qui est un fief mouvant de l'Eglise.
Troisiesmement, ils ne peuvent non plus jamais rien prétendre
à tous les autres fiefs masculins qui se trouveront dans la
succession du grand-duc, et qui au défaut d'enfans masles issus
de ceux de la maison de Médicis, qui en ont esté investis
en premier lieu doivent revenir aux seigneurs dont ils relèvent.
Enfin, ils ne pourront pas contester après la mort sans enfans
de l'Électrice palatine, tous les fiefs féminins ni les
biens allodiaux de la maison de Médicis, aux descendans de
Marguerite de Médicis, duchesse de Parme qui sont les plus
proches parens du grand-duc et de ses enfans, et qui ainsy excluent
à cet égard tous les parents plus éloignez, comme
il sera marqué dans l'article suivant ; mais si tous les princes
et princesses de la maison de Parme mouroient sans enfans, rien
n'empescheroit que celuy des descendans d'Éléonore et de
Marie de Médicis qui se trouveroit leur plus proche parent ne
succédast aux fiefs féminins et aux biens allodiaux de la
maison de Médicis.
ARTICLE IV
Droits des princes et princesses de la maison de Parme issus de Marguerite de Médicis.
Il a esté marqué cy-devant que Marguerite de
Médicis fille du grand-duc Cosme II du nom, épousa
Edouard Farnèse duc de Parme, elle en eut plusieurs enfans, dont
il n'y a eu que le duc Ranuzze II qui ait laissé
postérité, ayant eu trois fils et deux filles,
sçavoir le prince Edouard qui est mort avant son père,
laissant une fille nommée Elisabeth Farnèse laquelle a
épousé Philippe V roy d'Espagne, duquel elle a des
enfans, François présentement duc de Parme qui a
épousé la veuve de son frère de laquelle il n'a
point d'enfans, le prince Antoine Farnèse qui n'est point
marié, une princesse nommée Isabelle, outre une autre qui
est morte veuve de François d'Este duc de Modène.
Il est certain que pour les raisons marquées dans les deux
articles précédens et qu'il seroit inutile de
répéter, ces princes et princesses ne peuvent jamais rien
prétendre à l'estat de Florence, ni à celuy de
Siène ni autres fiefs masculins de la maison de Médicis.
Mais comme le duc de Parme, le prince son frère et sa sœur sont
cousins et cousine issus de germain du grand-duc de Toscane et que la
reyne d'Espagne est sa cousine du second au troisième
degré et qu'ainsy ils sont les plus proches parents que le
grand-duc aye, il paroist que si luy, le prince son fils et l'Electrice
sa fille venoient à mourir sans enfans et sans avoir
disposé de leurs meubles et acquests, ils appartiendroient aux
princes et princesses de la maison de Parme, aussy bien que tous les
fiefs féminins et biens allodiaux de leur maison.
Il pourroit y avoir de la difficulté au sujet des fiefs
féminins et des biens allodiaux de la maison de la Rovere, que
Victoire de la Rovere a apportez en mariage au grand-duc Ferdinand II,
parce que les princes et princesses de la maison de Parme n'en
descendent point.
Il pourroit y avoir encore une seconde difficulté au sujet de la
succession aux fiefs féminins et aux biens allodiaux de la
maison de Médicis, entre le duc de Parme, le prince son
frère et sa sœur d'une part, et la reyne d'Espagne fille du
prince Edouard frère aisné de ces deux princes, d'autre
part, ce qui dépend de sçavoir si en Italie la
représentation a lieu dans les successions en ligne
collatérale, car en ce cas la reyne d'Espagne doit exclure ses
oncles, sinon ils l'excluront et elle ne pourra prétendre
à ces biens qu'après la mort de ses oncles et de sa tante
sans enfans.
ARTICLE V
Des droits des seigneurs de la maison de Médicis issus de Giovenco de Médicis.
Il paroist par ce qui a esté marqué dans l'article XIII
de la première partie de cet ouvrage qu'il subsiste encore une
branche de la maison de Médicis issue de Juvencus ou Giovenco de
Médicis, et qui s'est subdivisée en deux autres branches,
dont l'aisnée est demeurée à Florence et l'autre
s'est allée establir dans le royaume de Naples et a pour chef le
prince d'Ottaiano.
Ce Juvencus de Médicis estoit frère cadet de Clarissime
de Médicis, autheur des branches issues de Cosme, père de
la patrie et de Laurent l'Ancien, et ces deux frères Clarissime
et Juvencus de Médicis estoient fils d'Averard II du nom qui fut
gonfalonier de Florence en 1314 ; ainsy il y a près de quatre
cens ans que la branche issue de Clarissime et celle issue de Juvencus
sont séparées, et en supputant les degrez de
parenté qui sont présentement entre Cosme de
Médicis, grand-duc de Toscane III de ce nom et Octavien de
Médicis présentement quatriesme prince d'Ottaiano il se
trouvera qu'ils sont cousins au onziesme degré.
Il paroit que ces seigneurs ne peuvent rien prétendre à
l'estat de Siène qui faute d'enfans masles issus de Cosme Ier
doit revenir aux rois d'Espagne, ni aux fiefs féminins, aux
biens allodiaux et autres biens acquis par les descendans de
François de Médicis frère de Juvencus qui doivent
passer à l'Électrice palatine et au cas qu'elle meure
sans enfans, aux princes et princesses de la maison de Parme, mais il
semble hors de doute qu'en suivant la disposition du décret fait
en 1530 par l'empereur Charles-Quint, sur la forme du gouvernement qui
devoit à l'avenir estre observé à
perpétuité, perpetuis f'uturis temporibus, dans la
République de Florence, lorsque le grand-duc de Toscane ou le
prince son fils viendront à mourir, les derniers de leur
branche, celuy qui se trouvera alors leur plus proche parent, suivant
l'ordre de la primogéniture dans la branche de la famille de
Médicis issue de Giovenco ne doive luy succéder.
En effet, il est porté expressément dans ce
décret, que l'illustre famille de Médicis et en premier
lieu Alexandre de Médicis, après sa mort, ses enfans
masles et à leur défaut celuy qui sera alors le plus
proche masle de la maison de Médicis sera jusqu'à
l'infini et suivant l'ordre de la primogéniture chef de la
République de Florence.
II y avait alors trois branches de la maison de Médicis,
sçavoir celle issue de Cosme père de la patrie, celle
issue de Laurent l'Ancien, et celle issue de Juvencus, Alexandre qui
estoit le dernier de la première branche issue de Cosme
père de la patrie estant mort sans enfans légitimes, le
Sénat se conformant à ce décret, lui choisit pour
successeur Cosme qui estoit de la seconde branche et son plus proche
parent, quoyque cousin du cinquiesme au sixiesme degré, ainsy
celuy qui se trouvera le plus proche parent du grand-duc ou de son fils
soit qu'il soit de la branche establie à Florence ou que ce soit
le prince d'Ottaiano pourra prétendre avec raison que la seconde
branche des Médicis venant à manquer au défaut
d'enfans masles issus du grand-duc et du prince Jean-Gaston son fils,
la dignité de chef de la République de Florence qui par
ce décret est affectée et substituée à
l'infini, usque ad infmitum, à la maison de Médicis luy
sera dévolue ipso facto, puisqu'il seroit le plus proche parent
du grand-duc de la maison de Médicis ; que quand la succession
à une principauté est affectée et
substituée à l'infini aux masles de la maison
régnante, l'éloignement de la parenté de masle en
masle ne peut point estre un obstacle, ainsy qu'il a paru dans
l'exemple du roy Henri IV qui succéda à la courone de
France au roy Henry III, qui estoit son cousin du dixiesme au onziesme
degré.
Il conviendra que le duc de Parme, le prince Antoine son frère,
la reyne d'Espagne et les princes ses enfans issus de Marguerite de
Médicis et mesme les rois de France, d'Espagne, d'Angleterre et
de Sicile et les ducs de Lorraine et de Modène, issus de
Catherine, de Virginie, d'Eléonore et de Marie de
Médicis, sont plus proches parens que luy du grand-duc et du
prince son fils, mais il soustiendra que n'estant point de la maison de
Médicis ils sont, suivant le décret de Charles-Quint,
incapables de succéder à la dignité de chef de la
République de Florence, au préjudice des masles
légitimes de cette maison.
Il pourra mesme prétendre que l'acte passé par le
Sénat de Florence en faveur de l'Electrice palatine à la
réquisition du grand-duc son père ne doit avoir aucune
force, et qu'elle ne peut non plus succéder au grand-duc son
père que Léonore de Médicis succéda au
sien, tant qu'il restera des masles de la maison de Médicis
auxquels la dignité de chef de la République de Florence
est affectée et substituée à l'infini par le
jugement de Charles-Quint, que tous les magistrats de cette
République promirent alors d'observer et que l'on doit regarder
comme une règle inviolable pour la succession à cette
dignité.
ARTICLE VI
Droit des Florentins pour recouvrer leur liberté.
Après avoir parlé des droits que le fils et la fille du
grand-duc et ses parens tant du costé des femmes que par les
masles et qu'on appelle en latin cognati et agnati peuvent
prétendre à sa succession, je passe présentement
aux droits que ses sujets pourraient avoir de se mettre en
liberté, et finiray par ceux que les souverains et seigneurs,
comme le Pape, l'Empereur et le roy d'Espagne peuvent prétendre
avoir de rentrer dans les estats et fiefs qui relèvent d'eux.
II y a grande apparence que ceux d'entre les Florentins, qui aimeront
leur repos et celuy de leur patrie, et qui feront réflexion sur
les désordres qui ne peuvent guères manquer d'arriver
dans un establissement nouveau de la forme du gouvernement d'une
République à cause des diverses prétentions et des
differens sentimens de ceux qui voudroient y avoir les premiers postes,
aimeront mieux après la mort du grand-duc de Toscane et du
prince son fils sans enfans, reconnoistre pour leur souverain ou un
seigneur de la maison de Médicis conformément au
décret de 1530 ou l'Electrice palatine suivant l'arrest du
Sénat de Florence, que vouloir s'exposer à toutes les
discussions domestiques et apparemment mesme à des guerres
civiles en voulant restablir la forme de l'ancien gouvernement
républicain ou en establir un nouveau duquel il leur sera
très difficile de convenir paisiblement.
Cependant comme plusieurs pourroient estre d'un avis contraire et se
promettre une grande satisfaction dans le restablissement de la
liberté dont leur ville a autrefois jouy, et dans l'abolition de
divers imposts très onéreux dont les grands-ducs les ont
chargez, je rapporterai icy ce que ceux qui seroient dans ces sentimens
pourraient alléguer pour soustenir le droit qu'ils
prétendroient avoir de restablir la République de
Florence en l'estat qu'elle a esté autrefois pendant plusieurs
siècles.
Ils pourroient alléguer en premier lieu que les Florentins ont
racheté leur liberté des Empereurs qui depuis ce
temps-là n'ont exercé aucune jurisdiction dans leur ville.
Secondement que l'authorité que Cosme, père de la patrie,
Pierre son fils et Laurent son petit-fils ont eue pendant soixante ans
dans la République de Florence n'estoit que précaire
fondée sur leur bonne conduite et qu'elle ne pouvoit durer
qu'autant qu'il plairait à la République.
Troisiesmement qu'ils avoient eu droit d'oster cette authorité
à Pierre de Médicis II du nom qui sans consulter la
République s'estoit attiré Charles VIII pour ennemy et
luy avoit ensuite remis les principales places de leurs Estats.
Quatriesmement que quand ils avoient en 1512 restably les
Médicis dans leur ville la capitulation portait qu'ils n'y
seroient receus que pour y vivre comme simples citoyens et sans y avoir
aucune authorité, et que cependant ils se l'estoient faite
donner toute entière dès le lendemain par violence et
contrainte ce qui ne pouvoit leur donner aucun droit.
Cinquiesmement qu'ayans esté très maltraitez de toutes
manières par ceux qui les avoient gouvernez sous
l'authorité des papes Léon X et Clément VII l'un
et l'autre de la maison de Médicis ils avoient pu secouer le
joug lorsqu'il en avoient trouvé une occasion favorable.
Sixiesmement que la capitulation que leurs ancestres firent en 1530
avec le général de l'Empereur portoit expressément
que Sa Majesté Impériale par son jugement arbitral
establissoit le gouvernement de la République en sorte qu'il luy
conserveroit sa liberté, et que cependant l'Empereur dans son
jugement ou décret n'eut aucun égard à cet article
essentiel de la capitulation.
Et enfin qu'ils avoient choisi pour chef de la République Cosme
1er sous plusieurs conditions et entre autres qu'il ne seroit chef de
la République que tant qu'il leur conserveroit leur
liberté, observeroit les loix et se contenleroit de douze mille
escus d'appointemens, qu'il avoit promis avec serment d'observer ces
conditions, et que cependant il n'en avoit rien fait, les ayant
gouvernez despotiquement sans s'arrester aux anciennes ordonnances de
la République, et qu'au lieu de douze mille escus par an luy et
ses successeurs en ont tiré plus de douze cent mille au moyen
d'une infinité d'imposts qu'ils ont establis.
Ainsy aprez la mort sans enfans du grand-duc, de son fils et tout au
plus de sa fille ils pourroient prétendre que ne restans plus de
masles de la maison de Médicis issus des grands-ducs auxquels
ils ont esté soumis et ont preste serment, ils sont rentrez dans
la liberté et dans tous les droits dont leurs ancestres ont jouy
et dont ils avoient esté dépouillez injustement et qu'ils
peuvent décider comme il leur plaira du party qu'il leur
conviendra davantage, soit de choisir un nouveau grand-duc pour leur
souverain ou de restablir dans leur ville l'ancienne forme de
gouvernement Républicain ou d'y en establir une nouvelle, et que
les Empereurs de la domination desquels ils se sont rachetez dez il y a
plusieurs siècles et qui ne se sont point réservez de
droit de les remettre en aucun cas sous leur obéissance s'y
puissent opposer valablement.
Les seigneurs qui restent de la maison de Médicis et l'Empereur
mesme s'il veut les protéger peuvent sans remonter plus haut que
le décret rendu par Charles-Quint en 1530 répondre
à tout cela que la République de Florence s'est sousmise
à l'observation de ce décret par lequel comme il a
esté marqué cy-devant plusieurs fois la dignité de
chef de cette République a esté affectée et
substituée à l'infini aux masles de la maison de
Médicis, que cette substitution a déjà esté
ainsy observée depuis près de deux cents ans, que
lorsqu'il n'y a plus eu de masle dans la première branche de la
maison de Médicis, ceux de la seconde branche ont
été appelez à cette dignité qui ainsy
lorsqu'il n'y aura plus de masle de la seconde branche doit passer
à l'aisné de la troisiesme et ainsy à l'infini, ad
infinitum.
Les Florentins doivent craindre avec raison que suivant qu'ils en sont
menacez par ce mesme décret s'ils viennent à y
contrevenir ils ne soient comme rebelles et désobéissans
à l'Empereur et à l'Empire privez de tous les
privilèges et de toutes les grâces qui leur ont
esté accordées par les précédens Empereurs,
et que tout leur domaine ne soit censé dévolu à
l'Empereur et à l'Empire.
ARTICLE VII
Droits des Pisans pour recouvrer leur liberté.
La pluspart des Pisans qui aimoientleur liberté se voyant en
1509 réduits sous la domination des Florentins
abandonnèrent leur ville et se retirèrent à
Gênes ou dans l'estat de Venise, de sorte que la ville de Pise
devint extrêmement déserte et le serait encore d'avantage
présentement si le grand-duc Cosme Ier n'y avoit establi une
université et la principale résidence des chevaliers de
l'Ordre de Saint-Etienne ; ainsy comme la pluspart de ceux qui habitent
présentement la ville de Pise ne sont point descendus des
anciens Pisans Républicains il n'y a guère d'apparence
que quand le grand-duc, son fils et sa fille seroient morts sans enfans
ils songeassent et encore moins qu'ils eussent assez de forces pour se
mettre en liberté sans plus reconnaistre la souveraineté
du duc ou de la République de Florence.
Cependant il est certain que si les Pisans vouloient et pouvoient se
soustraire à la domination des Florentins ce serait avec
beaucoup de probabilité qu'ils allegueroient qu'on ne peut
contester que la République de Pise ne soit plus ancienne que
celle de Florence ou que le droit des Florentins n'a point d'autre
fondement que l'achat qu'ils ont fait de la ville de Pise de Gabriel de
Visconti fils naturel du duc de Milan qui l'avait achetée du
grand Africani qui en avoit usurpé la tyranie, et qui ainsy
n'ayant aucun droit à la seigneurie de cette ville n'avoit pu en
transférer un valable à un autre de sorte que comme on ne
peut prescrire contre la liberté quand le titre primordial est
vicieux et manifestement injuste, il est permis à un peuple
libre ainsy qu'il l'est à une personne libre, de recouvrer sa
liberté quand il en trouve une occasion favorable.
Ces raisons seroient assez probables pour avoir lieu si elles estoient
alléguées par le mesme peuple qui a esté
injustement privé de sa liberté et sous-tenues par des
forces suffisantes pour secouer le joug des Florentins, mais comme la
plus grande partie présentement de la ville de Pise sont des
estrangers qui y sont venus demeurer, qu'il y a plus de deux cents ans
que les Florentins se sont emparés de la ville de Pise
après un long siège par le droit de la guerre et qu'elle
dépend d'eux, ceux qui habitent à présent la ville
de Pise ne seroient pas écoustez s'ils vouloient demander
d'estre mis en liberté et n'auroient pas de forces suffisantes
pour s'y mettre eux-mêmes, et ils ne pourroient se dispenser de
reconnaistre le mesme chef que la République de Florence dont la
ville de Pise dépendoit lorsqu'en 1530 l'empereur Charles-Quint
régla la forme du gouvernement de cette République.
ARTICLE VIII
Droit des Siénois pour recouvrer leur liberté.
Les Siénois ne sont passez que malgré eux sous la
domination de l'empereur Charles-Quint et ensuite de son fils Philippe
II roy d'Espagne, et ensuite sous celle des grands-ducs de Florence qui
les traitent encore de sudditi per forza, aussy ils portent tousjours
avec beaucoup d'impatience leur servitude et s'ils avoient assez de
forces d'eux-mesmes et de protection de la part des princes ou d'autres
puissances estrangères pour pouvoir se mettre et se maintenir en
liberté ils auroient aussy des raisons assez probables pour
serestablir en forme de République.
Ils pourroient en premier lieu soustenir que leurs ancestres ne se sont
point souslevez contre l'Empire et ainsy n'ont point
mérité de décheoir de la liberté et des
privilèges que l'empereur Charles IV leur avoit accordez sous
cette condition, questants troublez par des discutions domestiques ils
avoient eu recours à l'empereur Charles-Quint pour luy demander
sa protection, et avoient receu un gouverneur de sa part dans
l'espérance qu'il employerait son authorité pour
maintenir leur ville en repos sans préjudice de leur
liberté et de leurs privilèges, et que ce gouverneur
espagnol les ayans au lieu de cela voulu réduire en servitude
par la construction d'une citadelle où il avoit mis une garnison
espagnole et par des vexations tyranniques qu'il avoit exercées
sur eux, ce n'estoit point s'estre révoltés contre
l'Empire que d'avoir chassé de leur ville ces Espagnols, d'avoir
rasé la citadelle qu'ils y avoient bastie et d'avoir eu recours
à la protection du roy Henry II.
Et en second lieu qu'ils ne s'estoient rendus à Charles-Quint
qu'à condition qu'ils rentreroient sous la protection de
l'Empire et conserveroient leurs magistrats et leurs anciennes
franchises et mesme, suivant quelques autheurs, leur liberté, et
leur République, et qu'au lieu de cela cet Empereur leur avait
manqué de foy, et comme si leur ville et leur territoire luy
avoient appartenu en propre, sans avoir esgard à la capitulation
et de mesme que s'ils s'estoient remis à sa discrétion,
en avoit investi le roy Philippe II son fils qui en avoit aussy
usé comme il auroit pu faire de son propre bien, et l'avoit
cédée au duc de Florence leur mortel ennemy qui les a
subjuguez entièrement, y a fait bastir une citadelle et ne leur
a laissé aucune liberté ny aucune forme de
République, sinon qu'il leur donne tous les ans des magistrats
au mesme nombre qu'ils en avoient autrefois mais qui n'ont aucune
authorité ni autres privilèges sinon qu'ils ont un palais
où ils couchent et mangent aux dépens du grand-duc.
Ainsy les Siénois ne manqueroient pas de raisons mais seulement
de forces et d'appuy pour se mettre en liberté ce qu'il n'y a
guère d'apparence qu'ils puissent faire après avoir
esté plus de cent soixante ans sujets des grands-ducs de Toscane
qui tiennent l'estat de Siene en fief du roy d'Espagne auquel cet estat
doit revenir au défaut d'enfans masles issus de Cosme Ier ainsi
qu'il a déjà esté dit plusieurs fois et qu'on le
verra encore plus amplement dans un des articles suivans.
ARTICLE IX
Droits du Pape sur une partie des Etats du grand-duc.
Il a esté marqué cy-devant que le grand-duc
possède sur les confins de l'Estat de l'Eglise le vicariat de
Radicofano près de l'Orvietin ou territoire d'Orviete et la
ville épiscopale de Borgo San Sepulchro près du
comté de Citta di Castillo.
Le vicariat de Radicofano a esté donné en fief par les
papes aux grands-ducs de Toscane, et à moins que son
inféodation soit expressément pour les femelles aussy
bien que pour les masles de la maison de Médicis il reviendra
par la mort du grand-duc et du prince son fils à la Chambre
apostolique au défaut des masles.
Le Borgo San Sepulchro est un ancien engagement du Saint-Siège
et ainsy les ministres du Pape verront pour quelles sommes et à
quelles conditions cet engagement a esté fait et si Sa
Sainteté a droit et intérest de retirer cette ville en
remboursant le prix de l'engagement.
ARTICLE X
Droits de l'Empereur sur les Estais qui composent le grand-duché de Toscane.
Si le grand-duc de Toscane et le prince son fils estans morts sans
enfans masles l'Empereur trouvoit lieu de s'emparer de ses Estats ainsy
qu'il paroist que le royaume de Naples et les duchez de Milan et de
Mantoue qu'il possède déjà en Italie luy en
doivent faciliter les moyens, il semble qu'il ne manqueroit pas de
raisons assez vraysemblables pour establir son droit qui seroit
appuyé d'ailleurs par de bonnes troupes.
Il pourroit soustenir ainsy qu'il est vray que toute l'Hétrurie
ou Toscane a depuis le temps de Charlemagne dépendu de l'Empire,
et que les villes de Florence, de Pise et de Siene qui y sont
situées n'estoient devenues libres que parce qu'elles
prétendoient avoir acquis leur liberté des Empereurs,
qu'à l'égard de Florence de laquelle Pise
dépendoit déjà, elle a esté en 1529
privée de sa liberté par Charles-Quint pour estre
entrée et avoir persévéré dans une ligue
faite contre luy, qu'ayant ensuite après avoir souffert un long
siège esté obligée de se rendre et de se soumettre
à la forme du gouvernement qu'il plairoit à cet Empereur
d'y establir, il l'avoit par son décret impérial
assujettie à la domination de la maison de Médicis, que
ne restant plus de masles issus des grands-ducs que Charles-Quint y
avoit establis, cette ville et son territoire doivent revenir sous la
jurisdiction de l'Empire, sans pouvoir faire valoir l'affranchissement
que la ville de Florence prétend luy avoir esté
accordé par l'empereur Rodolphe Ier qui est absolument nul, les
droits de. l'Empire estans imprescriptibles et inaliénables
qu'avec le consentement des Estats de l'Empire, et qui outre cela a
esté révoqué et annullé par l'empereur
Charles-Quint à cause de la manifeste rébellion de cette
ville contre l'Empire.
Mais les seigneurs qui restent de la maison de Médicis
pourroient opposer à la prétention de l'Empereur le
décret mesme de Charles-Quint de l'année 1530 par lequel
comme il a esté marqué cy devant cet Empereur donna aux
Florentins une abolition de leur révolte contre l'Empire, leur
rendit tous les privilèges que les Empereurs ses
prédécesseurs leur avoient accordez, voulut qu'Alexandre
de Médicis et aprez luy les masles aisnez de la maison de
Médicis fussent à l'infini chefs de la République
de Florence, et ne menacea les Florentins de la privation des
privilèges qui leur avoient esté accordez par les
précédens Empereurs et de la perte de leur domaine qui
luy seroit dévolu et à l'Empire qu'au cas qu'ils
contrevinssent à ce décret.
Ainsy il paroist que l'Empereur n'a point droit de priver les
Florentins de leurs privilèges et de les réduire sous la
jurisdiction immédiate de l'Empire au cas que le grand-duc et le
prince son fils mourussent sans enfans masles, sinon aux cas que les
Florentins voulussent se remettre en forme de République ou
déférer la souveraineté de leurs Estats à
tout autre qu'à celuy qui se trouvera le plus proche et
l'aisné de la maison de Médicis.
ARTICLE XI
Droits du roy d'Espagne sur les Estais qui composent le grand-duché de Toscane.
Philippe V, roy d'Espagne au cas que le grand-duc, le prince son fils
et l'Electrice sa fille meurent sans enfans peut prétendre
succéder aux fiefs féminins et aux biens allodiaux de la
maison de Médicis du chef d'Elisabeth Farnèse son
épouse qui est issue de Marguerite de Médicis sa
bisayeule fille du grand-duc Cosme II. Elle pourroit si la
représentation a lieu dans ce pays-là y succéder
immédiatement comme représentant le prince Edouard
Farnèse son père qui estoit l'aisné de
François présentement duc de Parme et du prince Antoine
son frère, sinon en cas que ces deux princes meurent sans enfans.
A l'égard de Siene il y pourroit succéder de son chef en
qualité de roy d'Espagne en cas que le grand-duc et son fils
meurent sans enfans masles puisque comme il a esté marqué
cy-devant Charles-Quint a donné cet Estat à Philippe II
son fils et à ses successeurs rois d'Espagne, que Philippe II ne
l'a cédé au duc Cosme Ior que pour luy et ses descendans
masles et que Cosme en a rendu hommage à Philippe II et à
ses successeurs rois d'Espagne, de sorte que comme si le grand-duc et
son fils mouroient sans enfans masles il ne resteroit plus d'enfans
masles issus de Cosme Ior et il n'y aurait point de difficulté
que l'estat de Siène ne revinst à Philippe V, et il ne
luy pourroit estre contesté ny par l'Electrice palatine fille du
grand-duc à cause de son sexe ni par les seigneurs qui restent
de la maison de Médicis parce qu'ils ne sont point issus de
Cosme I'r, ni par les princes issus par femmes de ce grand-duc parce
qu'ils ne peuvent y avoir plus de droits que les princesses leurs
ayeules qui en étaient exclues par leur sexe.
Il n'y a que l'Empereur qui pourroit luy contester ce droit à
cause de la prétention qu'il a sur la monarchie d'Espagne dont
il met tousjours les royaumes parmy ses titres, mais comme l'Empereur
n'en a que le titre et que Philippe V est actuellement possesseur des
royaumes d'Espagne il semble qu'il devroit estre
préféré à un roy titulaire et que la
reconnaissance que le grand-duc a esté contraint de faire de
l'Empereur pour roy d'Espagne ne le peut priver d'un droit qui est
attaché à la couronne qu'il possède.