MÉMOIRE
JUSTIFICATIF
DU DROIT QUI
APPARTIENT
A M. LE DUC
D'HAMILTON
DE PORTER LE
TITRE
DUC DE
CHÂTELLERAULT.
Paris
Imprimerie de Ad. Laîné et J. Havard
rue des Saints-Pères, 19
[1863]
Cession du duché de Châtellerault par le roi Henri II à James Hamilton, IIe comte d'Arran. — Délivrance du duché. — Possession du duché de Châtellerault par le comte d'Arran (l548-l559).
Par lettres patentes, en date du 5 février 1548, le roi de France Henri II conférait à James Hamilton, second comte d'Arran, le titre de duc et le duché de Châtellerault, évalué à 12,000 livres de rente, pour en jouir par lui, ses hoirs et ayants cause à perpétuité.
Cette concession n'était pas l'effet d'une pure générosité royale; elle était l'exécution, de la part de Henri II, d'une convention précédente, arrêtée dans une forme solennelle, pour assurer la réalisation d'un projet au succès duquel ce prince consacrait tous les efforts de sa politique : le mariage de Marie Stuart, reine d'Ecosse, avec le Dauphin de France.
Les lettres patentes du 5 février 1548 s'expliquent de la manière la plus précise à cet égard; elles rappellent que, plus d'une année auparavant, le 28 janvier 1547, un contrat synallagmatique, sollicité par le Roi de France, était intervenu entre ce prince et le comte d'Arran. Par ce contrat, signé à Châtillon, le comte s'obligeait à rassembler les Etats du pays d'Ecosse pour obtenir leur consentement au mariage de leur Reine avec le Dauphin, à remettre et délivrer ès mains dudit seigneur Roi de France la personne de ladite Reine, et, en outre, à lui remettre également aucunes des principales et plus fortes places du royaume d'Ecosse.
De son côté, le Roi de France, « en récompense d'un aussi grand et signalé service, s'engageoit, entre autres choses, à conférer au comte d'Arran le titre de duc, avec duché en ce royaume de France, de douze mille livres de rente, pour lui, ses hoirs et ayants cause à perpétuité. »
Sur la foi de ce contrat, le comte d'Arran fit non-seulement tout ce qu'il avait promis de faire, mais il eut de plus le bonheur de réussir, de sorte qu'il ne restait, lors de la réunion du Conseil, le 5 février 1548, qu'à dresser l'acte de la cession du duché que le Roi s'était engagé à transmettre au comte d'Arran en rémunération du service rendu.
« De quoy, portent les lettres patentes dé-livrées ledit jour, ledit seigneur Roy disoit se sentir grandement tenu à luy, et qu'il méritoit très-bien qu'il luy en fit très-bonne et très-grande récompense et telle qu'il luy avoit promis faire par lesdits articles (le traité du 27 janvier 1547) ; ce qu'il avoit délibéré faire. »
Pour mieux établir encore, s'il était possible, le caractère synallagmatique de la transmission du titre de duc et du duché qui allaient être concédés au comte d'Arran, l'évêque de Ross, ambassadeur d'Ecosse en France, fut admis à paraître devant le Conseil, non pas seulement pour entendre la déclaration du Roi, mais, tout spécialement comme porteur de la procuration du comte d'Arran, et stipulant pour lui, afin de réclamer l'exécution de la parole royale.
« Luy remontrant, est-il dit dans les lettres patentes, que véritablement iceluy comte avoit par touts moyens cherché à luy obéir et faire service en cet endroit (le mariage de la Reine d'Ecosse avec le Dauphin), jusques à rompre toutes les entreprises de ceulx qui ont essayé le contraire; et, qui plus estoit, avoit mis en arrière l'affection que naturellement il devoit porter à son propre sang, d'autant que luy-mesme estant le plus proche et présomptif successeur du royaume (s'il plaisoit à Dieu appeler à sa part ladite dame Royne), avoit quelque moyen de conduire le mariage d'icelle dite Royne avec son fils. Toutesfois, aimant mieux gratiffier ledit seigneur et sondit royaume, il avoit, de son plain et franc vouloir, tant fait avec lesdits Estats d'Ecosse que ledit mariage avoit esté accordé avec mondit seigneur le Dauphin, et icelle Royne mise ès mains de mondit seigneur, ensemble aucunes des principales et plus fortes places dudit pays;
Suppliant, à cette cause, ledit seigneur de sa part vouloir, par satisfaction et accomplissement de sa promesse, octroyer et assigner audit seigneur comte , pour luy, ses hoirs, successeurs et ayants cause, les douze mille livres de rente en titre de duché ;
Ce que, ajoutent les lettres patentes, ledit seigneur Roy désirant faire, comme il est plus que raisonnable, après en avoir communiqué à son Conseil, a, comme prince de foy et d'honneur, donné et octroyé, donne et octroye par ces présentes, audit seigneur comte le duché de Châtellerault, ses appartenances et dépendances, et a commandé à moi, secrétaire de ses finances, dépêcher, en la plus sûre forme que faire se pourra, audit comte lettres de don dudit duché de Châtellerault, pour en jouir par lui, ses hoirs, successeurs et ayants cause, perpétuellement et à toujours, lui promettant iceluy faire valoir douze mille livres de rentes annuelles, toutes charges déduites et payées, et les lui assigner de proche en proche.
Et, pour sûreté de ce, a voulu estre donné ce présent acte audit évesque de Ross, procureur dudit seigneur comte, qu'il a signé de sa propre main et fait contre-signer de moy.
Signé : Henry,
Et plus bas : Clause. »
Jamais sans doute contrat synallagmatique ne fut mieux établi et constaté. Le Roi ne donne pas parce que tel est son bon plaisir, mais parce qu'il y est tenu comme prince de foy et d'honneur, en vertu d'un engagement par lui contracté.
Le titre de duc accordé au comte d'Arran, le duché de Châtellerault qui lui est concédé en France, pour lui et ses successeurs, à toujours, n'étaient donc que l'exécution d'un contrat discuté librement entre les deux parties.
Il faut d'ailleurs remarquer
que par cette concession et en assurant à James Hamilton, comte
d'Arran, le titre de duc, le Roi de France faisait, dans son propre
intérêt, un acte d'habile politique, puisqu'il procurait parla à un
seigneur, sur le dévouement duquel il savait pouvoir compter, une
position toute particulière
en Ecosse, et une
prééminence réelle sur tous les autres membres de la noblesse de ce
pays investis seulement du titre de comtes (1).
(1) Il n'y avait en Ecosse, au milieu du seizième siècle, ni duc ni duché. C'est une particularité dont on trouve la preuve dans une lettre écrite par Marie Stuart à la Reine, sa mère, au mois de mai 1557, et dans laquelle elle la prie de vouloir bien, pour l'honneur de l'Ecosse, ériger en duché le comté d'Arran. « Car, ajoute-t-elle, on se moque de quoy il n'y en a pas en ce pays.» —(Recueil du prince Labanof, t. I, p. 43.)
Tous les actes nécessaires pour parfaire la concession furent accomplis sans délai. Dès le mois de février 1548, et aussitôt après que les lettres patentes du 5 de ce mois eurent été signées par le Roi, il fut procédé à l'investiture du duché de Châtellerault en faveur du comte d'Arran. De nouvelles lettres patentes furent délivrées à Saint-Germain-en-Laye, dans lesquelles le Roi, après avoir pris l'avis des princes du sang et des membres de son Conseil privé, s'exprime en ces termes :
« Nous, ayans égard et considération aux grands, vertueulx, agréables et recommandables plaisirs et services, que nostre très-cher et très-amé cousin, le comte d'Arran, chevalier de nostre ordre, gouverneur du royaume d'Escosse, a, par cydevant, faits à l'eu nostre très-honoré seigneur et père le Roy dernier décédé (François Ier), que Dieu absolve, à nous consécutivement et à la maison et couronne de France, depuis le décez et trespas du feu Roy dudit Escosse dernier décédé (Jacques V), nostre frère et cousin, et mesmement pour avoir moyenne l'accord du mariage d'entre nostre très-chère et très-amée sœur et cousine la Royne d'Escosse, passé en l'assemblée des Estats dudit royaume d'Escosse, et, pour plus grande seureté et assurance avoir délivré et mis ès mains de nos députez ladite Royne, qui depuis a esté amenée et conduite en nostredit royaume, où elle est de présent; et outre, pour avoir mis ez mains de nosdits députez les chasteaux et places de Dunbar et de Blackness, qui sont deux des fortes et plus importantes dudit royaume d'Escosse, moyennant lesquelles nous espérons maintenir et deffendre ledit royaume contre les entreprises des ennemys d'icelluy, en quoy faisant, etc.
Nous, à ces causes, et après avoir mis le faict de sadite récompense en délibération avec les princes de nostre sang et gens de nostre Conseil privé, et par eux fait voir l'accord et contract fait et passé entre nous et ledit sieur comte, cy attaché sous le contre-scel de nostre chancellerie,
Avons, par leur avis et délibération, ledit accord et contract, comme très-juste et très-raisonnable et très-profitable à nous et à l'Estat de nostre royaume, loué et approuvé, louons et approuvons par ces présentes, et, suivant iceux accord et contract, et l'avis des princes de nostre sang et gens de nostre Conseil privé, pour aucunement rémunérer iceluy comte de ses services, qui méritent beaucoup plus, comme véritablement nous reconnoissons, avons donné, ceddé, quitté, transporté et délaissé, et par la teneur de ces présentes donnons, ceddons, quittons, transportons et délaissons à iceluy nostredit cousin, ses hoirs, successeurs et ayants cause, à toujours, le duché de Chastellerault, ses appartenances et dépendances, ainsi qu'ils se poursuivent et comportent, et tous droicts, prérogatives de duché, justice haute, moyenne et basse, etc., et à ce faire avons obligé et obligeons nous, nos biens et de nos hoirs, successeurs et ayants cause,
Pour d'iceluy duché et choses dessus dites jouir et user par nostre cousin le comted'Arran, sesdits hoirs, successeurs et ayants cause, perpétuellement, héréditablement et à toujours, et en ordonner et disposer comme de son propre et vray héritage, et dont à cette fin, nous nous sommes dessaisis, dévestus et démis, dessaisissons, dévestons et démettons, dès maintenant au profit de nostredict cousin, sesdits hoirs, successeurs et ayants cause, que nous en avons, en ce faisant, saisis et vestus, vestons et saisissons par cesdites présentes, etc.
Si donnons en mandement à nos amez et féaux, etc., que de nos présents don, cession, quittance, bail, transport et délais, et de tout le contenu en cesdites présentes, ils fassent, souffrent et laissent nostredit cousin, sesdits hoirs, successeurs et ayants cause jouir et user plainement, paisiblement, perpétuellement et à toujours, etc. Car tel est nostre plaisir, nonobstant quelconques ordonnances et révocations générales ou particulières, faites ou à faire, de nostre domaine, en quoy ne voulons ce présent don, bail, transport et délais estre aucunement compris ny entendu, attendu la grandeur et importance de la cause qui nous en a esté motivée, etc.
Signé : Henry.
Et sur le reply, par le Roy, messieurs le cardinal deGuise, et duc d'Aumale, de Montmorency connestable et autres présens.
Signé : Duthier. »
Deux mois après, en mai 1548, il était déclaré au profit du nouveau duc, que désormais la justice de Châtellerault ressortirait nuement au Parlement de Paris.
Dès le mois de juillet de la
même année, des lettres de grande naturalité, datées de Dijon, étaient
délivrées par le Roi de France au comte d'Arran, duc de Châtellerault,
pour lui et ses héritiers :
« Afin que, sous couleur qu'il est étranger, natif dudit royaume d'Escosse, et non de nos royaume et pays, l'on ne puisse, après son trespas, prétendre ledit duché (de Châtellerault) nous devoir retourner par droict d'aubeyne, et à sesdits héritiers, successeurs et ayants cause, donner quelque trouble ou empeschement en la jouissance dudit duché et des autres terres, biens, possessions et héritages qu'il pourroit avoir et cy-après acquérir en nosdits royaume et pays.... Voulant que ses hoirs, successeurs et ayants cause luy puissent succéder, prendre et appréhender la possession et jouissance de sesdits biens, tout ainsi qu'ils feroient et pourroient faire si nostredit cousin et sesdits enfants et héritiers estoient originaires et natifs de nosdits royaume et pays, soit qu'ils soient demeurans en iceux nosdits royaume et païs, ou audit païs d'Escosse. Et, pour cet effet, les avons, quant à ce que dessus, habilitez et dispensez, habilitons et dispensons, de nosdictes puissance et authorité, par cesdites présentes, sans que pour ce nostredit cousin le comte d'Arran, ne sesdits enfants et héritiers soient tenus payer à nous, ny à nos successeurs Roys de France, aucune finance ou indemnité, de laquelle, à quelque somme, valeur et estimation qu'elle soit et puisse monter, nous luy avons fait et faisons don, quittance et octroy, par cesdites présentes signées de nostre main, etc. (1). »
(1) Cet acte important reçut, plusieurs années après, une véritable consécration. Par suite de ces lettres de grande naturalité, James Hamilton, duc de Châtellerault, était si bien devenu Français, lui et les siens, que son fils, le comte d'Arran, étant venu en France, où il résida longtemps et où même il administra le duché de Châtellerault pendant plusieurs années, fui nommé l'un des députés pour représenter le pays Châtelleraudais à l'assemblée des États tenus à Poitiers en 1558. (Histoire de Châtellerault et du Châtelleraudais, par l'abbé Lalanne, t. II, p. 10.)
Par lettres du 20 novembre 1548, injonction est faite par le Roi à tous avocats, procureurs et gens de justice, pratique et finance, de procéder sur la réquisition du duc de Châtellerault pour toutes affaires concernant ledit duché : « Voulant, dit le Roi, procéder de bonne foi audit affaire, et le délais, cession et transport dudit duché de Châtellerault estre fait à nostre dit cousin tant pour luy que les siens, héreditablement, perpétuellement, à toujours, en si bonne et valable forme qu'il ne puisse estre révoqué cy après en doute ne difficulte. »
Les causes de la cession sont encore rappelées dans ces lettres ; elles sont rappelées de nouveau dans les lettres patentes du 12 août 1549 données à Amiens, par lesquelles le Roi enjoint aux sénéchaux de Poitou et de Châtellerault de mettre le duc de Châtellerault en possession de son duché.
Le 4 novembre 1549, les lettres en date du 5 février 1548 étaient enregistrées par les Trésoriers généraux de France, et il est constaté par cet enregistrement qu'elles avaient été précédemment lues, publiées et enregistrées en la cour de Parlement et en la chambre des Comptes à Paris.
Enfin, le 29 avril 1550, l'évêque de Ross, au nom et comme chargé des pouvoirs de James Hamilton, duc de Châtellerault, rendait au roi foi et hommage pour ledit duché.
Depuis lors James Hamilton transféra à son fils aîné le titre de comte d'Arran, et bien que privé, dix ans plus tard, de la possession de son duché, il fut lui-même, jusqu'à sa mort, constamment désigné sous le titre de duc de Châtellerault. C'est ce que nous établirons par une série d'actes authentiques énoncés dans le paragraphe suivant.
Mise sous le séquestre du duché de Châtellerault par François II. — Maintien de James Hamilton dans le titre de duc de Châtellerault. — Réclamations du duc de Châtellerault, à raison du séquestre de son duché (1559—1575).
Pendant toute la durée du règne de Henri II, le duc de Châtellerault conserva, sans conteste, la jouissance des droits qui lui avaient été concédés. Mais, en 1559, la part qu'il prit aux troubles survenus en Ecosse, ou plutôt le zèle trop ardent déployé pour la réforme par le comte d'Arran, son fils, qui s'efforça de propager en France, et dans le duché même de Châtellerault, les nouvelles idées religieuses, brouilla les Hamiltons avec la cour de France. François II, malgré les promesses faites et les engagements pris par le Roi son père, crut pouvoir profiter de cette circonstance pour mettre la main sur les revenus du duché, c'est-à-dire sur ce que l'on nomme les droits utiles; mais il eut bien soin de ne pas toucher au titre même de duc de Châtellerault, qui devait lui fournir un moyen facile de se ménager un rapprochement avec un personnage de l'importance du duc de Châtellerault, qui exerçait, en Écosse, la plus haute influence, qui avait donné à la France des gages de dévouement dont le jeune Roi avait, par son mariage avec Marie Stuart, profité plus que personne, et contre lequel il n'avait d'ailleurs aucun grief grave à articuler.
Nous n'avons pas à discuter ici la valeur d'un fait de violence, dont l'injustice et l'illégalité ont été reconnues et constatées plus tard par l'indemnité accordée, en 1714, à celui des membres de la famille Hamilton qui représentait alors le concessionnaire primitif. Nous n'avons qu'une chose à établir, c'est que, malgré cette voie de fait, ni le roi François II, ni ses successeurs en France, tout en privant le duc de Châtellerault des revenus de son duché, n'ont eu la pensée de lui retirer le titre de duc de Châtellerault, et que, tout au contraire, ce titre lui a été fidèlement conservé dans toutes les relations que ce seigneur a eues, par la suite, avec la cour de France.
Nous allons constater ce fait par des preuves irrécusables. —Dès 1560, et lorsque déjà la spoliation était accomplie, le duc de Châtellerault crut avoir à se plaindre de M. de Seurre, ambassadeur de France en Angleterre. Les choses en vinrent au point qu'il lui envoya un cartel (21 mars). L'ambassadeur répondit comme il le devait à cette provocation. L'incident n'eut pas de suite, et nous n'en parlerions pas, si l'ambassadeur ne constatait, dans sa réponse, de la manière la plus formelle, le droit de lord Hamilton au titre de duc de Châtellerault. — «Laquelle lettre, dit M. de Seurre, parlant du cartel qui lui avait été adressé, je ne puis estimer estre vostre, d'autant que vous intitulant duc de Chastellerault, comme de fait je scais qu'estes, y a esté oublié, parlant des Roy et Royne, les appeler vos souverains seigneurs, comme ils sont (1). »
(1) Bibliothèque
Impériale, collection Dupuy, n°662.
Cependant, François II étant mort, Marie Stuart retourna en Ecosse, où, dès son arrivée, elle eut à lutter contre toute la violence des partis. Nous n'avons pas à exposer la série des événements qui amenèrent l'emprisonnement de la Reine à Lochleven ; il nous suffira de rappeler que la famille Hamilton se déclara pour Marie Stuart, et que James Hamilton, duc de Châtellerault, chef de cette famille, se trouva naturellement amené à renouer les relations les plus intimes avec la cour de France.
Il se rendit à Paris, en juillet 1567, pour solliciter l'appui de Charles IX en faveur de la Reine, sa maîtresse. Tout en évitant de donner au duc de Châtellerault une audience particulière, à cause des réclamations que le duc avait à lui adresser au sujet des revenus du duché de Châtellerault, le jeune Roi lui fit cependant le plus gracieux et le plus bienveillant accueil.
Voici comment s'exprime à cet égard, dans sa dépêche officielle du 24 juillet, dont l'original est conservé aux Archives de l'Empire (1), don Francès de Alava, ambassadeur de Philippe II en France.
« Le duc de Châtellerault, qui est Ecossais, est arrivé ici il y a trois jours. Il s'occupa immédiatement d'aller trouver le Roi. J'ai appris qu'on s'est empressé de le renvoyer en Ecosse avec beaucoup de bonnes paroles et un peu d'argent. Le Roi a évité de lui accorder une audience particulière, à cause des sommes considérables qu'il lui doit pour le duché de Châtellerault, dont ledit duc a été dépossédé il y a bientôt dix ans (1). »
(1) « El duque de Chastelerao, que es Escoces, llegó aquí tres dias ha ; passó luego á buscar á este Rey. Entiendo que lo embian derecho á Escocia con mucho favor y algun dinero. No ha querido que se le hable en su particular deviéndole quantitad de dinero este Rey, porque ha diez años que esta deposseydo del ducado de Chaslelerao. » — Cette dépêche établit deux faits importants, à savoir que James Hamilton était reçu en 1567 à la cour de France sous le titre de duc de Châtellerault, et que, depuis dix ans, il n'avait cesse de réclamer, auprès du Roi de France, les sommes considérables qui lui étaient ducs par suite du séquestre du duché de Châtellerault.
En 1568, alors que Marie Stuart se trouvait au pouvoir de la reine Elisabeth, Bertrand de Salignac de la Mothe Fénelon fut envoyé par le Roi de France comme ambassadeur près de la Reine d'Angleterre. Les registres originaux de ses dépêches sont conservés aux Archives de l'Empire (1). Dès la deuxième dépêche, en date du 23 novembre 1568, l'ambassadeur annonce au roi de France que « les députés, qui étaient assemblés à York pour le fait de la Reine d'Ecosse, sont déjà à Hamptoncourt et le duc de Châtellerault aussi. »
(1) Ces registres ont été publiés sous le titre de Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Mothe Fenelon, ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575. Paris, 7 vol. in-8°. — Voir, en ce qui concerne les indications relatives au duc de Châtellerault, t.1, pp. 12, 79, 155, 101, 195, 200, 300, 312, 328, 348, 300, 370, 378, 379, 382. — T. III, pp. 45, 52, 74, 98, 131, 110, 152, 158, 160, 108, 169, 170, 172, 174, 193, 207, 223, 248, 207, 271, 340. —T. IV, pp. 1,172, 237, 243, 279, 378, 457. — T. V, pp. 203, 308, 309. —T. VI, pp. 247, 381, 424. —T. VII, p. 225.».
Le même titre lui est donné dans les dépêches suivantes, où. le nom du duc de Châtellerault se rencontre presque toujours lorsqu'il est question des affaires d'Ecosse.
A la dépêche du 6 avril 1560, se trouve annexé le traité connu sous le nom de convention de Glasgow du 13 mars 1569.
L'intitulé porte que la convention est passée entre le Régent d'Ecosse (le comte de Murray) et ses amis, d'une part, et le comte de Cassilis, le sieur de Herrys et l'abbé de Kilwining, au nom de M. le duc de Châtellerault et autres, ses adhérents de la noblesse, d'autre part. »
Dans une lettre de Marie Stuart à la Mothe Fénelon, jointe à la dépêche du 3 avril 1569, dans une autre lettre de la Reine d'Ecosse, en date du 18 avril, jointe à la dépêche du 12 mai, la Reine rapporte les menaces faites par Elisabeth au duc de Châtellerault, lors de son départ d'Angleterre pour retourner en Ecosse.
En 1570, dépêche du 27 avril, l'ambassadeur annonce au Roi que le duc de Châtellerault s'est déclaré pour la Reine d'Ecosse.
Le 14 mai, il transmet au Roi la nouvelle que le comte de Herrys et le duc de Châtellerault se sont venus loger avec bonnes forces sur une rivière pour s'opposer aux comtes de Marr et de Morton.
Le duc de Châtellerault est encore désigné sous ce titre dans les dépêches des 13, 22, 27 mai et 1er juin 1570.
Dans les dépêches qui se rapportent à l'année 1571, ce n'est pas seulement l'ambassadeur de France qui donne ce titre au duc de Châtellerault, c'est le Roi lui-même qui, écrivant à son ambassadeur, le 18 juin 1571, lui dit :
« J'espère que Vérac sera dans huit ou dix jours en Ecosse, avec lettres et moyens, tant au duc de Châtellerault, laird de Granges, Ledingthon, que autres seigneurs d'Escosse que j'estime qui me sont bien affectionnés et à madicte sœur, la Royne d'Escosse, pour toujours les entretenir en toute bonne affection en mon endroict, comme je dé-sire qu'ils soient, suivant nosdictz anciens traités. »
Enfin, dans toute cette correspondance officielle, le duc de Châtellerault n'est pas désigné autrement que par ce titre qu'il a toujours porté jusqu'à sa mort, dont la dépêche du 21 février 1575 fait mention en ces termes :
« Il y a secrète pratique depuis la mort du duc de Châtellerault, lequel est naguère décédé (22 janvier 1575). »
James Hamilton, II° comte d'Arran, a donc été constamment maintenu par la cour de France en possession du titre de duc de Châtellerault, malgré le séquestre mis depuis 1559 sur les revenus du duché, et, si l'on avait jugé utile en France de s'emparer des biens, il est prouvé que l'on a au moins religieusement conservé le titre.
Réclamations de James, Ier duc d'Hamilton, et de William, IIe duc d'Hamilton, pour obtenir la restitution du duché de Châtellerault. — Reconnaissance de leurs droits aux revenus du duché par Louis XIII et Louis XIV. — Payement qui leur est fait, par provision, de la rente de 12,000 livres, représentant les revenus (1614-1651).
Le titre honorifique de duc de Châtellerault, dont James Hamilton, IIe comte d'Arran, était investi à sa mort, qu'il a transmis à son fils et à tout autre son ayant droit à perpétuité, ce titre n'a jamais été révoqué ; il subsiste encore aujourd'hui.
La question est de savoir si M. le duc d'Hamilton actuel, qui le porte comme descendant en ligne directe du concessionnaire primitif et comme chef de la branche aînée de la maison de Hamilton, qui en a toujours joui, peut, sous un prétexte quelconque, voir contester son droit par quelque autre membre de la famille Hamilton.
Pour arriver à éclaircir ce point et à démontrer que le droit de M. le duc d'Hamilton est inattaquable, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails généalogiques ; nous suivrons ensuite l'ordre chronologique des faits et nous verrons comment furent conduites les négociations relatives à la revendication du duché de Châtellerault et au nom de qui elles furent faites et suivies.
Le duc de Châtellerault laissa, en mourant (22 janvier 1575), quatre fils :
L'aîné, James Hamilton, IIIe comte d'Arran, et lord David Hamilton, le troisième des fils, moururent sans postérité.
Le second fils, John, Ier marquis d'Hamilton, lord Arbroath, est l'auteur direct de M. le duc d'Hamilton, chef actuel de la famille.
Le quatrième des fils, lord Claude Hamilton, est l'auteur direct de M. le marquis d'Abercorn actuel, qui prétend réclamer pour lui ledroit de prendre le titre de duc de Châtellerault.
Cette prétention n'est nullement fondée; c'est ce que nous allons établir d'une manière péremptoire.
James, IIIe comte d'Arran, fils aîné du duc de Châtellerault, étant mort sans enfants (mars 1609), le titre de comte d'Arran passa à son neveu, James, IIe marquis d'Hamilton et IVe comte d'Arran , qui devint le chef de la branche aînée comme étant le fils de John, Ier marquis d'Hamilton, lord Arbroath.
A la mort de James, IVe comte d'Arran (2 mars 1625), ses droits furent transmis à son fils James, Ier duc d'Hamilton et Ve comte d'Arran, qui, sous la domination de Cromwell, fut décapité le 9 mars 1649.
Le duc d'Hamilton avait perdu tous ses enfants mâles et il ne laissa en mourant qu'une fille qui devint plus tard la duchesse Anne, mais dont les droits, au moment de la mort de son père, furent primés par ceux de son oncle, lord William, qui devint IIe duc d'Hamilton et VIe comte d'Arran.
Leduc William étant mort le 12 septembre 1651, en ne laissant lui-même que des filles, tons les titres de la famille revinrent à la duchesse Anne, sa nièce, qui, étant fille de James, frère aîné du duc William, devint le chef de la branche aînée de la famille Hamilton.
Avant de constater les droits de la duchesse Anne, nous allons reprendre l'ordre chronologique des faits en ce qui concerne les réclamations faites par les Hamiltons au sujet du duché de Châtellerault.
Nous avons vu que l'auteur commun de la famille Hamilton, James Hamilton, IIe comte d'Arran, duc de Châtellerault, n'avait pas cessé de réclamer auprès de la cour de France la restitution de son duché.
Ces réclamations se trouvèrent interrompues après sa mort, parce que son fils aîné James, IIIe comte d'Arran, fut atteint, pendant la dernière période de sa vie, d'une faiblesse d'esprit qui ne lui permit pas de veiller à ses intérêts.
Mais James, IIIe comte d'Arran, étant décédé en mars 1609, son neveu et héritier James, IIe marquis d'Hamilton et IV° comte d'Arran, s'empressa de former auprès de la cour de France, au sujet des droits de son grand-père sur le duché de Châtellerault, une réclamation nouvelle qui fut appuyée par l'ambassadeur d'Angleterre, et à laquelle il fut fait droit immédiatement.
Dès 1614, il obtint du roi Louis XIII, à titre de provision, une pension de 12,000 livres représentant les revenus du duché de Châtellerault; et, le 4 octobre 1616, les lettres suivantes lui étaient délivrées :
« Aujourd'hui, quatrième octobre 1616, portent ces lettres, le Roy estant à Paris, l'ambassadeur du sérénissime Roy de la Grande-Bretagne, ayant représenté à Sa Majesté aucunes choses sur les prétentions du sieur marquis d'Hamilton, comte d'Arran, sur le duché de Châtellerault, comme ayant droit du feu sieur comte d'Arran son ayeul, et auquel il avoit esté accordé dès l'an 1548, pour causes très-importantes, et dont il a joui jusqu'en l'an 1550, Sa Majesté, ayant égard à la recommandation particulière dudit Roy de la Grande-Bretagne, et aux signalés services que les prédécesseurs dudit sieur comte d'Arran ont rendus à cette couronne, a accordé et accorde audit comte la somme de douze mille livres de pension par an » (c'est-à-dire le montant des revenus du duché de Châtellerault, tels qu'ils avaient été réglés et garantis par le roi Henri II, lors de la concession faite en 1548).
A la mort de James, IIe marquis d'Hamilton et IVe comte d'Arran, arrivée en 1625 semblables lettres furent accordées le 4 octobre 1625 pour la continuation de ladite pension à son fils James, Ier duc d'Hamilton et Ve comte d'Arran (celui qui fut décapité le 9 mars 1649).
Mêmes lettres furent encore délivrées, le 10 octobre1649, par le roi Louis XIV en faveur de Guillaume, IIe duc d'Hamilton et VIe comte d'Arran, frère du précédent. Elles sont conçues en ces termes :
« Aujourd'huy,10° octobre 1649, le Roy, estant à Paris, s'estant fait représenter les brevets des quatrième d'octobre 1616 et quatrième d'octobre 1625, par lesquels a été accordé aux comtes d'Arran et d'Hamilton la somme de 12,000 livres de pension annuelle, en considération de leurs prétentions au duché de Chastellerault, comme ayants droict du feu comte d'Arran, leur bisayeul, auquel il avoit esté accordé, dès l'an 1548, pour causes très-importantes et dont il a joui jusqu'en l'année 1559 ; et, considérant les bons et agréables services que le sieur Guillaume, duc d'Hamilton, comte d'Arran, frère du défunt, a rendus au feu Roy de la Grande-Bretagne (Charles 1er), aux intérêts duquel il est demeuré attaché avec grande fidélité,
comme aussi ceux que les comtes d'Arran et d'Hamilton, ses prédécesseurs, ont rendus à cette couronne, et voulant, à l'occasion de ce, le traiter le plus favorablement qu'il luy sera possible, Sa Majesté, par l'avis de la Reine régente, sa mère, a de nouveau, en tant que besoin est ou seroit, donné et continué audit sieur Guillaume, duc d'Hamilton, comte d'Arran, ladite pension de douze mil livres par chacun an, pour luy estre d'oresnavant payée et acquittée sur ses simples quittances par les trésoriers de son espargne, présens et à venir, chacun en l'année de son exercice; veut et ordonne à cette fin que ledit sieur duc d'Hamilton soit employé dans l'estat de pensionnaire pour ladite somme, sans qu'il luy soit besoin d'autres lettres que le présent brevet, etc.Signé : LOUIS.
Et plus bas : De Loménie. »
Jusqu'ici il n'y a pas de contestation possible entre les deux branches de la famille Hamilton, puisque la branche aînée s'est continuée, de mâle en mâle, sans interruption. Mais, comme nous l'avons déjà dit plus haut, le duc William meurt le 12 septembre 1651, ne laissant que des filles. La descendance mâle dans la branche aînée s'éteint avec lui, et c'est à ce moment que se seraient ouverts pour les auteurs de M. le marquis d'Abercorn, les prétendus droits qu'on voudrait faire valoir aujourd'hui. C'est ce que nous allons examiner dans le paragraphe suivant.
Reconnaissance des droits de lady Anne, duchesse d'Hamilton, auteur direct de M. le duc d'Hamilton actuel, à la continuation de la rente de 12,000 livres. — Mandats de payement qui lui sont délivrés. — Suspension des payements.— Requête adressée au Roi de France, au nom de la duchesse Anne, par William, comte d'Arran, son fils aîné, pour obtenir la restitution du duché (1657-1685).
Les femmes succèdent en Angleterre par ordre de primogéniture aux titres et même à la couronne royale. C'est en vertu de cette loi que lady Anne, fille unique du frère aîné du duc William, fut appelée à recueillir, dans la succession de son oncle, tous les titres et honneurs dont son père, le duc James, avait été revêtu. Elle prit le titre de duchesse d'Hamilton, et devint le chef de la branche aînée.
C'est là un fait que M. le marquis d'Abercorn ne saurait contester. Cependant, de la prétention que Sa Seigneurie élève aujourd'hui, il résulte que les droits au titre de duc et aux revenus du duché de Châtellerault n'auraient pas dû être recueillis par la duchesse Anne, avec les autres titres de sa branche, et que ces droits, au moment de l'extinction des mâles dans la branche aînée, auraient dû passer à la branche cadette qui remontait, sans interruption de mâles, jusqu'au chef de la famille, James, IIe comte d'Arran, concessionnaire du titre primitif. M. le marquis d'Abercorn n'oublie qu'une chose, c'est que cette condition de descendance mâle, qui se trouve en effet d'une manière absolue dans la plupart des concessions féodales et nobiliaires, n'existe pas dans la concession du duché de Châtellerault, et que l'acte primitif de concession, de même que tous les actes accessoires que nous avons eu grand soin de citer textuellement, ne parlent jamais que des hoirs, successeurs et ayants cause, sans distinction de sexe. Il n'y avait donc en l65l, pas plus qu'il n'y aurait aujourd'hui, aucun motif de faire, en faveur de la branche puînée de la maison d'Hamilton, une distinction que l'on chercherait vainement dans le texte des lettres patentes de Henri II.
Voyons d'ailleurs comment s'opéra en faveur de la duchesse Anne la transmission des droits au duché de Châtellerault et surtout quelles furent à cette époque les relations des divers membres de la famille Hamilton avec la cour de France. Ce point est de la plus grande importance.
Ce qu'il y a de certain, c'est que la duchesse Anne continua à jouir sans conteste de la pension qui avait été payée à son père et à son oncle, et qu'elle trouva cette pension dans leur succession, comme elle y trouva le titre de duchesse d'Hamilton et le duché d'Hamilton lui-même, ainsi que le comté d'Arran.
Les actes sont là pour établir que non seulement aucune réclamation à ce sujet ne fut présentée par le comte d'Abercorn d'alors, mais que la duchesse Anne fut maintenue dans sa possession par la cour de France.
Il est prouvé, en effet, que la duchesse Anne, reconnue comme duchesse d'Hamilton, devint titulaire de la pension de 12,000 livres accordée par le Roi de France, qu'elle reprit en son nom les réclamations faites dès le commencement du dix-septième siècle par son père et son oncle au sujet du duché môme de Châtellerault, et que des lettres semblables à celles qui avaient été données en faveur de son père et de son oncle, en 1625 et 1649, lui furent à elle-même délivrées. Ces lettres, qui sont du mois de janvier 1657, se trouvent rappelées dans l'ordonnance de comptant qui lui fut remise le 20 décembre 1658, pour le payement de la pension de 12,000 livres de l'année précédente 1657. Cette ordonnance est conçue en ces termes:
« Trésoriers de mon espargne, payez comptant à ma cousine, la duchesse d'Hamilton, la somme de 12,000 livres, que je luy ay ordonnée pour sa pension de l'année dernière 1657, nonobstant que l'estat n'en soit encore expédié, et ce sans retardement, pour les considérations énoncées dans les lettres (1), qui lui en ont été expédiées. »
Fait à Lyon, le vingtième jour de décembre 1658. »
Signé : LOUIS.
Et plus bas : de Loménie. »
(1) La date de ces lettres, janvier 1657, est précisée dans la requête de 1685, qui en rappelle le contenu. Voir ci-après.
Même ordonnance, dans les mêmes termes et de même somme, fut délivrée par le Roi à sa cousine la duchesse d'Hamilton, le 20 janvier 1659, pour sa pension pendant l'année 1658.
De même encore, le dernier jour de janvier 1660, pour sa pension pendant l'année 1669, et le 29 juillet 1661, pour sa pension pendant l'année 1660.
Neuf années s'étaient déjà écoulées depuis la mort de William, IIe duc d'Hamilton (12 septembre 1651), et, pendant tout ce temps, la duchesse Anne, comme chef de la branche aînée de la maison d'Hamilton, avait joui, en France, des droits utiles attachés à la concession du duché de Châtellerault, sans que les Abercorns aient élevé la moindre réclamation, ce qui est déjà la preuve qu'ils n'avaient rien à prétendre. Mais cette preuve se trouve également confirmée par tous les faits qui vont suivre, car le payement de la pension de 12,000 livres ayant été interrompu, et les mandats délivrés à la duchesse Anne n'ayant pas été exécutés, il fallut porter à la cour de France de nouvelles réclamations.
En 1685, requête fut adressée au roi Louis XIV pour obtenir justice sur le fait du duché de Châtellerault, et ce fut James Hamilton, comte d'Arran, fils aîné de la duchesse Anne, qui présenta cette requête, comme exerçant, par délégation, les droits de la duchesse sa mère, et chargé de ses pouvoirs spéciaux. Pendant trente années que dura la sollicitation de l'affaire, ce fut lui et, après lui, le comte de Selkirk, son frère, qui en poursuivit la conclusion.
Jamais, à aucune époque, et dans aucune circonstance, une seule réclamation ne fut adressée à la cour de France par les comtes d'Abercorn.
La requête de 1685 a été conservée; elle fait partie d'une collection de factums de la Bibliothèque des Avocats à Edimbourg.
Cette requête a pour titre. « Factum of the earl of Arran, touching the restitution of the duchy of Châtellerault. M DC LXXXV. »
Les faits y sont soigneusement exposés, les titres que nous avons invoqués y sont rappelés et discutés. Elle commence ainsi :
« Au Roy. »
«Sire, — James Hamilton, comte d'Arran, premier gentihomme de la chambre du Roy de la Grande-Bretagne, remonstre très-humblement au Roy, que le roy Henry II, d'immortelle mémoire, pour récompense des grands et signalez services que James Hamilton, comte d'Arran, protecteur et gouverneur d'Escosse, avoit rendus tant à luy qu'au roy François Ire, son père, et à l'Estat et couronne de France, luy donna le duché de Chastellerault, avec promesse de luy faire valoir douze mille livres de rente, etc. »
Après la narration des faits, lorsque l'auteur du mémoire arrive à l'époque de la mort de Guillaume, IIe duc d'Hamilton (12 septembre 1651), il s'exprime en ces termes :
« Guillaume, duc d'Hamilton, estant décédé sans enfants mâles et mesme sans avoir pu pousser plus avant la poursuite de ses droits et prétentions touchant le duché de Chastellerault, parce que, par la nécessité de ses employs, il demeura toujours attaché auprès des personnes des roys, ses maistres, Anne, duchesse d'Hamilton, sa nièce, fille de Jacques duc d'Hamilton, comte d'Arran, et mère du suppliant, est demeurée héritière du nom et des armes des comtes d'Arran, et, dans cette qualité, elle a succédé à leurs légitimes droits au duché de Chastellerault.
Ce fut, Sire, ce qui l'obligea de se pourvoir par devers Vostre Majesté, en l'année 1657, pour luy en demander justice, et Vostre Majesté n'eut pas sitôt entendu les raisons de sa demande qu'elle luy accorda la continuation de la pension de douze mille livres, pour elle, ses héritiers, tant mâles que femelles, et ayants cause à perpétuité, et luy en fit expédier ses lettres patentes au mois de janvier 1657, en considération des grands et importons services, rendus à cet Estat par le feu sieur comte d'Arran, gouverneur d'Escosse.....
Aujourd'huy, Sire, le suppliant, qui est dans les droicts de la dame sa mère et par conséquent de tous ses illustres prédécesseurs, a cru qu'il manqueroit à ce qu'il doit à leur mémoire et à luy-mesme, s'il ne rappeloit le souvenir des grands et importans services qu'ils ont rendus à cet Estat, et qui sont attestez et reconnus par tous les roys prédécesseurs de Vostre Majesté et par elle-mesme; et s'il négligeoit de poursuivre l'effet et l'exécution d'une donation qui est si honorable a son nom et à sa famille. »
Suit
la discussion des moyens
de droit qui est aujourd'hui sans intérêt, satisfaction ayant été
donnée plus tard sur la réclamation de la duchesse Anne. Puis la
requête conclut en ces termes :
« C'est, Sire, ce qui luy faict espérer que Vostre Majesté recevra favorablement sa requeste; qu'elle fera réflexion sur les services signalez rendus à cet Estat par ses ancestres; qu'elle considérera que le don, dont il s'agit, fut faict en foy de roy et de prince de foy et d'honneur, ce qui le doit rendre inviolable à la postérité; qu'il a esté reconnu et approuvé dans tous les temps; et, enfin, qu'il fut faict, non à un subject, mais à un estranger, qui contracta de bonne foy, qui exécuta avec honneur, et le contrat duquel ne peut pas astre enfraint, sans faire brèche à la foy publique.A ces causes, Sire, plaise à Vostre Majesté ordonner que le suppliant sera remis et restably dans la libre possession et jouissance du duché de Chastellerault, appartenances et dépendances, et des autres choses comprises dans le don dont il s'agit, avec restitution des fruits, sur le pied de douze mille livres de rente par chascun an, et ce depuis l'année 1657 jusqu'à la présente année 1685. »
Cette requête demeura sans résultat, et il fallut que le traité d'Utrecht intervînt pour que la duchesse Anne obtînt enfin de la cour de France la justice qui lui était due.
Traité d'Utrecht. — Consécration des droits de la famille Hamilton au duché de Châtellerault. — Nouvelle requête présentée à Louis XIV, en vertu de ce traité, au nom de Anne, duchesse d'Hamilton. — Prétentions élevées pur le comte d'Abercorn, qui ne donne aucune suite à son projet de réclamation, et qui transige moyennant un quart dans l'indemnité. — Reconnaissance, par Louis XIV, des droits de Anne, duchesse d'Hamilton. — Indemnité qui lui est accordée. — Payements qui lui sont faits. — Contestations élevées par des créanciers du duc d'Hamilton, époux de la duchesse Anne (1712—1747).
Pour mettre fin aux retards apportés par la cour de France à la conclusion de l'affaire touchant le duché de Châtellerault, qui, malgré la requête présentée en 1685, restait sans solution, on parvint, lors de la paix d'Utrecht, à obtenir l'insertion, dans le traité, d'un article exprès, qui assurait la reconnaissance des droits de la famille Hamilton.
L'article 22 du traité ( 11 avril 1713) est conçu en ces termes (1) :
« xxii. Le Roy Très-Chrétien promet encore qu'il fera, incessamment après la paix faite, faire droit à la famille Hamilton au sujet du duché de Châtellerault (2). »
En exécution de cet article, une nouvelle requête fut présentée au Roi qui,cette fois, ne put refuser de répondre, de reconnaître le droit et de donner la satisfaction promise.
Par qui cette nouvelle réclamation, fondée sur un acte international, a-t-elle été faite ? Est-ce par le comte d'Abercorn ? A qui la satisfaction a-t-elle été accordée? Est-ce au comte d'Abercorn ?
Les actes vont nous l'apprendre.
Cette nouvelle requête, qui existe encore aujourd'hui (3), a été présentée, en 1713, par Charles Hamilton, comte de Selkirk, quatrième enfant de la duchesse Anne, et nulle part il n'y est fait mention des Abercorns ni de leurs prétentions.
(1)
Les conférences pour
la paix s'étaient ouvertes à Utrecht le 29 janvier 1712.
(2)
Dumont, Corps
diplomatique, t. VIII, part. 1, p. 342.
(3)
Un exemplaire est
conservé à la Bibliothèque Impériale de Paris, dans les portefeuilles
de Clairembault.
Elle a pour titre :
« Requeste pour milord comte de Selkirk, touchant la restitution du duché de Chastellerault et autres choses comprises dans le don fait par le roy Henri II, à James Hamilton, comte d'Arran, protecteur et gouverneur du royaume d'Escosse, en exécution de l'article xxii du dernier traité de paix entre l'Angleterre et la France. »
Cette requête est, à peu de chose près, la reproduction textuelle de la requête de 1685, à laquelle il n'a été fait d'autres changementsque ceux qui avaient été rendus nécessaires par les événements survenus depuis lors.
Guillaume, duc d'Hamilton, qui avait présenté la première requête en 1685, et qui avait été nommé ministre plénipotentiaire par le Roi d'Angleterre, pour conclure le traité d'Utrecht,était mort, avant d'avoir pu remplir sa mission, le 15 novembre 1712, à la suite de son duel avec Charles, lord Mohum.
La nouvelle requête fut donc présentée par Charles Hamilton, comte de Selkirk, son frère, le quatrième des enfants de la duchesse Anne. Cette requête commence dans la même forme que la précédente, sauf le changement de nom.
« Au Roy.
Sire, Charles Hamilton, comte de Selkirk, représente très-humblement à Vostre Majesté, que le roy Henri II, etc......, pour récompense des grands et signalez services que James Hamilton, etc...... avoit rendus ......lui donna le duché de Chastellerault.
Le suppliant, Sire, est descendu de ce James Hamilton , seconde personne du royaume d'Escosse.
Aujourd'hui (1713), Sire, le suppliant, qui est dans les droits de la darne sa mère (la duchesse Anne), et, par conséquent, de tous ses illustres prédécesseurs, a cru qu'il manquerait à ce qu'il doit à leur mémoire, etc., etc. »
La requête précédente est ici textuellement reproduite, sans autre changement que ce qui était relatif à la duchesse de Montpensier, décédée depuis 1685, et au traité d'Utrecht, quiest invoqué par le comte de Selkirk, comme moyen péremptoire pour repousser la prescription que l'on prétendait lui opposer.
« Et il y en peut d'autant moins avoir lieu à la prescription) que, par l'article 22 du présent traité, entre l'Angleterre et la France, Vostre Majesté a bien voulu s'engager de faire raison à la maison d'Hamilton de ses droits sur le duché de Chastellerault. »
Puis, après la discussion qui reproduit la précédente requête, la conclusion est ainsi conque :
« A ces causes, Sire, plaise à Vostre Majesté, conformément à l'article 22 du présent traité de paix, ordonner que le suppliant (le comte de Selkirk, exerçant les droits de la duchesse Anne, sa mère) sera remis et rétabli dans la libre possession et jouissance du duché de Chastellerault, appartenances et dépendances, et des autres choses comprises dans le don duquel il s'agit, si Vostre Majesté n'aime mieux luy faire payer la somme de quatre cent quatre-vingt mille livres, faisant le prix de l'équivalent de douze mille livres de rente, érigées en titre de duché, aux termes exprès de la donation du duché de Chastellerault, à raison de quarante pour cent, qui est le prix ordinaire, fixé dans le royaume, pour la valeur de pareilles terres, avec la restitution des fruits, sur le pied de douze mille livres annuelles. » — (Suit le compte des fruits, sur lequel il est fait déduction de la somme de 108,000 livres « pour neuf années, qui ont « esté régulièrement payées, depuis 1616 jusqu'en 1625. »)
Enfin le total des réclamations, établies article par article, se monte à la somme de deux millions deux cent trente-deux mille livres.
« Le suppliant, Sire, attend de la bonté de Vostre Majesté qu'elle daignera avoir égard à l'équité de ses prétentions, et qu'elle ne souffrira pas que ce seul article du traité de paix entre l'Angleterre et la France reste sans fruit et sans effet envers une famille qui, de tout temps et en toutes circonstances, s'est sacrifiée pour les intérests de ses légitimes souverains et ceux de Vostre Majesté en particulier... »
Ce fut seulement à cette époque, 1712, et après que les droits de la duchesse Anne eurent été officiellement reconnus en France, comme nous venons de le voir, que le comte
d'Abercorn, alors vivant, prétendit soulever pour la première fois la contestation que son représentant actuel voudrait renouveler aujourd'hui. Il est curieux de voir dans quelle circonstance il la présenta, dans quel but et comment tout aussitôt, en s'aidant de la protection des ministres d'Angleterre, il obtint une transaction qui dès lors mit fin à toute réclamation de sa part. Cette transaction qui le réduisait, sur sa propre demande , à une simple indemnité toute partielle suffirait pour établir qu'il n'avait aucun droit à la possession du duché de Châtellerault, et encore moins au titre qui n'est pas divisible.
Aussi le comte d'Abercorn n'a-t-il paru ni dans la requête de 1685 présentée par James duc d'Hamilton , an nom et comme exerçant les droits de la duchesse Anne sa mère, ni dans la requête de 1713, présentée par Charles Hamilton, comte de Selkirk, au nom et comme exerçant également les droits de la duchesse Anne, sa mère, ni dans celle longue série d'incidents divers, qui ont signalé la négociation à la suite de laquelle est intervenu le règlement définitif de l'indemnité.
L'accord entre la duchesse d'Hamilton et le comte d'Abercorn fut arrêté au mois de septembre 1712, ainsi que cela est établi dans le tome Ier du Peerage of Scotland (article Abercorn) où se trouvent rapportes les propres termes de Swift, qui fut le négociateur de la transaction.
On y lit (p. 9), sous l'article relatif à James fils aîné du colonel James Hamilton, que « par le 22e article du traité d'Utrecht, Louis XIV s'étant engagé, aussitôt la paix faite, à faire rendre justice à la famille Hamilton concernant le duché de Châtellerault, le comte d'Abercorn réclama la préférence comme héritier par mâles du premier duc de Châtellerault. » A ce sujet Swift écrivait, le 24 septembre 1712: — « J'ai été le médiateur entre la famille Hamilton et lord Abercorn afin de les amener à composition, et je crois qu'on s'entendra. Lord Selkirk va se rendre en France pour faire la demande, et le ministère pense que l'on obtiendra quelque satisfaction. —J'ai été autorisé à conseiller aux Hamiltons de s'entendre avec Abercorn, qui demande un quart, et qui va se rendre en France et gâtera tout si on ne lui cède pas.....» (1)
(1) « I have been mediating betwixt the Hamilton family and lord Abercorn, to make them compound with him, and I believe they will do it. Lord Selkirk is to be here in order to go to France to make the demands; and the ministry are of opinion they will get some satisfaction, and they empowered me to advise the Hamiltons side to agree with Abercorn, who ask a fourth part, and will go to France and spoil all, if they don't yield it. »
Ainsi voilà la prétention telle qu'elle est formulée par le comte Abercorn; il sait si bien lui-même que cette prétention n'est pas fondée qu'il consent tout d'abord à ce que lord Selkirk fasse seul la réclamation en France, comme seul il l'a faite en effet. Quant à lui, il se borne à entrer en partage pour une part dans l'indemnité qui sera accordée au comte de Selkirk, et cette part, il la réduit à un quart. Si sa proposition n'est pas acceptée, il ne fera pas même valoir ce qu'il veut bien appeler son droit, mais il se rendra en France et brouillera tout; ce qui veut dire qu'il fera tant qu'aucune indemnité ne sera accordée.
Cependant, et en exécution de l'article 22 du traité d'Utrecht, une négociation fut entamée dont nous connaissons aujourd'hui tous les détails.
Et d'abord nous savons par qui la demande fut formée et quelles en ont été toutes les circonstances, même les plus minutieuses.
Or, pour l'appréciation de la controverse que l'on s'efforcerait d'élever aujourd'hui, ce point est capital, car il est absolument décisif.
En effet, les droits sur le duché de Châtellerault sont reconnus par le Roi de France dans le traité d'Utrecht au profit de la famille Hamilton, qui, par le principe même de la concession, n'avait jamais pu en être privée.
Des commissaires sont nommés par le Roi pour l'exécution de cet article du traité.
Quel est celui des membres de la famille Hamilton qui va paraître devant ces commissaires; dont les droits vont être authentiquement reconnus; avec lequel le débat va s'établir sur l'indemnité à payer pour la privation de jouissance ? — Evidemment ce sera celui-là seul qui dans la famille est le représentant du concessionnaire primitif, celui-là seul qui peut réclamer les droits résultant de la concession et prendre le titre que cette concession assure.
A cette époque, 1713, les deux branches de la famille Hamilton étaient séparées depuis près d'un siècle et demi et bien distinctes. Si c'est la branche puînée (les Abercorns) qui a droit à la concession relative au duché de Châtellerault, par suite d'une dévolution quelconque, à l'exclusion de la branche aînée (les Hamiltons), ce sera très-certainement le comte d'Abercorn, représentant de cette branche puînée, alorsvivant , qui fera la réclamation, qui présentera la requête en son nom, comparaîtra devant les commissaires et se fera donner satisfaction.
Loin de là, dans toute cette négociation, qui a eu d'assez nombreux incidents en France, et qui a donné lieu, quelques années plus tard, en Angleterre, à des contestations de créanciers d'un certain retentissement, nulle mention ne se trouve des comtes d'Abercorn ; pas un mot qui révèle leur existence.
La réclamation, à raison des droits de la famille Hamilton sur le duché de Châtellerault, est faite en 1713, comme déjà elle l'avait été en 1685, au nom et du chef de celle qui représentait la branche aînée, au nom de la duchesse Anne, par son fils Charles, comte de Selkirk, investi des droits de sa mère pour traiter avec la cour de France, en exécution de l'article xxii de la paix d'Utrecht, et, au mois de juillet 1714, intervient, entre lui et les commissaires du Roi de France, la transaction qui règle l'indemnité due.
Le contrat, passé au nom de François Brissault, clerc du chevalier Bernard, banquier (le fameux Samuel Bernard), est ratifié, le 28 mars 1716, par Anne, duchesse d'Hamilton. En vertu de ce contrat, des payements sont faits, en 1716 et en 1719, par Brissaut, à la duchesse Anne, sur une procuration donnée par elle à son fils le 26 mars 1715.
Lorsque surgissent, quelques années après, les désastres financiers de la France, des commissaires sont nommés pour régler le remboursement des dettes, et un arrêt du 2 janvier 1721 enjoint aux porteurs de titres de les produire par-devant eux.
En exécution de cet arrêt, les titres représentant L'indemnité accordée à la famille Hamilton, eu vertu du traité d'Utrecht, pour le duché de Châtellerault sont produits ; par qui ? par le comte de Sclkirk.
« Les commissaires, lit-on dans une information du temps, ont apposé leur visa sur les titres qui furent remis au comte de Selkirk (1). »
(1) Information du 7
juillet
1740, appendice joint au factum de 1685, publié par M. Turnbull, 1843,
in-8°, p. 116.
Et du comte d'Abercorn pas un mot. Evidemment c'est qu'il n'avait aucun droit.
Vingt ans après, en 1740, des créanciers du feu duc d'Hamilton, le mari de la duchesse Anne, qui avait été admis, par acte du 12 octobre 1660, à porter le titre de duc d'Hamilton tant que durerait le mariage, élèvent des réclamations, prétendant avoir droit à ce qui restait encore dû par la France sur l'indemnité accordée au sujet du duché de Châtellerault.
Des informations sont faites et produites en justice devant les tribunaux anglais. Quelles sont donc les parties en cause?
Une information du 25 juin 1740, qui se trouve conservée à la bibliothèque des Avocats d'Edimbourg, nous montre les créanciers demandeurs, poursuivant
« Contre John, comte de Selkirk et Ruglen, héritier du sang, et lord Daer et Riccarton, exécuteur testamentaire de feu Charles, comte de Selkirk. »
Du comte d'Abercorn pas un mot.
Une autre information faite en réponse, le 7 juillet 1740, est pour John, comte de Selkirk et Ruglen, et William Daer et Riccarton, contre les créanciers.
Même silence à l'égard du comte d'Abercorn.
Enfin, tous ces faits sont encore certifiés dans une dernière requête présentée au nom des créanciers, le 24 novembre 1747.
Ne résulte-t-il pas, de tout ce que nous avons exposé jusqu'ici, la preuve la plus incontestable que tout ce qui ressort de la concession du duché de Châtellerault, et, par conséquent, le droit d'en porter le titre, appartenait à la duchesse Anne et à ses descendants, représentant la branche aînée de la maison d'Hamilton?
Ne résulte-t-il pas en même temps, de tous ces faits, un aveu aussi complet que formel, de la part des comtes d'Abercorn? Leur abstention et leur silence, en présence du traité d'Utrecht, qui appelait tous les membres de la famille Hamilton à faire valoir leurs droits, ne démontrent-ils pas, de la manière la plus évidente, qu'ils reconnaissaient eux-mêmes que les droits au duché de Châtellerault, et, par conséquent, au titre, appartenaient à la branche aînée de la famille?
Faits et actes qui constatent que les ducs d'Hamilton, descendants directs de la duchesse Anne, ont toujours été seuls en possession du titre de duc de Châtellerault.
A ces preuves si formelles, et auxquelles M. le marquis d'Abercorn ne peut rien opposer, viennent s'en ajouter d'autres encore, qui ressortent des faits qu'il nous reste à signaler, et qui appartiennent à des temps plus rapprochés de nous.
Et, en première ligne, nous devons placer ce qui ressort de l'ouvrage déjà cité, et qui fait autorité en pareille matière (The Peerage of Scotland).
On y lit au mot Abercorn (tom. I, p. 3). — Hamilton, earl of Abercorn. « The first of the illustrions peerage of Scotland in alphabetical order, is Hamilton, earl of Abercorn, the indoubted heir-male of the great and noble family of Hamilton. »
L'historique concernant les comtes d'Abercorn se termine, dans cette publication, par le paragraphe viii, consacré à John James, neuvième comte d'Abercorn, né en 1756 (voy. p. 13).
A la fin de chacun des articles consacrés à chaque famille, se trouve rémunération des titres honorifiques appartenant au dernier des membres nommés, et l'énoncé des actes en vertu desquels il a le droit de porter ces titres.
Quels sont donc les titres honorifiques qui appartenaient à John James Hamilton, neuvième comte d'Abercorn ? En voici la complète énumération.
« Titles — John James Hamilton, marquis and earl of Abercorn,viscount Hamilton and of Strabane, baron of Paisley, Abercorn, Hamilton, Mountcastle, Kilpatrick and Strabane, and baronet (p. 14) »
Reportons-nous maintenant à l'article consacré aux ducs d'Hamilton (p. 689), « Hamilton duke of Hamilton ». Il suffira de mettre en regard les titres pour reconnaître de quel côté,
au sujet du titre de duc de Châtellerault, est le bon droit.
Le dernier paragraphe, sous le n° xvii (page 724), est consacré à Alexandre, marquis de Douglas et Clydesdale, fils aîné et héritier d'Archibald, duc d'Hamilton; lequel Alexandre, né le 3 octobre 1767, est le père de William Alexander Antohny Archibald, né le 15 février 1811, qui est M. le duc d'Hamilton actuel.
Voici ses titres :
« Titles : — Archibald Hamilton, duke of Hamilton, Brandon and Châtellerault, marquis of Hamilton, Douglas and Clydesdale, earl of Angus, Arran, Lanark and Cambridge, lord Hamilton, Aven, Polmont, Machanshire, Innerdale, Abernethy, Jeburgh forest, and Dutton, first marquis of Scotland and heritable keeper of the palace of Holyroodhouse. »
Et sous cet intitulé Créations sont immédiatement énumérés tous les actes qui ont conféré ces divers titres, tant en Ecosse qu'en Angleterre et en France.
D'abord sont rappelés les titres donnés en Ecosse : — comte d'Angus, par le roi Robert 1er en l327.— lord Hamilton par acte du parlement 1445, —comte d'Arran, etc.
Puis viennent les titres donnés en Angleterre :
« Duc de Brandon en Suffolk, etc. »
Vient enfin le titre français qui est énoncé en ces termes :
« Duc de Châtellerault en Poitou, le 8 février 1548 », avec cette observation « que le droit de la famille Hamilton à ce titre n'a jamais été formellement abandonné. »
Voilà ce qui était constaté, publié et reconnu partout comme vérité historique absolue, tant en Écosse qu'en Angleterre et en France au dix-huitième siècle et dans le commencement de celui-ci (1).
(1)
La seconde édition du Peerage
of Scotland est datée de 1813.
Tels sont les droits et les titres que M. le duc d'Hamilton actuel a recueillis dans la succession de son père Alexandre duc d'Hamilton.
Le titre de duc de Châtellerault avait été si bien maintenu qu'après 1814 et alors que la restauration des Bourbons sur le trône avait rappelé en France l'ancienne noblesse avec tous ses titres, le duc d'Hamilton, père de M. le duc actuel, fut reçu à la cour de France sous le titre qui lui appartenait de duc de Châtellerault.
C'est ce que nous pouvons établir par une preuve positive.
On sait combien l'étiquette était rigoureusement observée à la cour de France et quels droits appartenaient aux dames qui y étaient admises comme duchesses françaises et qui, à ce titre seul, pouvaient jouir des honneurs du tabouret.
M. le duc et madame la duchesse d'Hamilton, se trouvant en France en 1826, furent reçus à la cour suivant leur droit, à titre de duc et de duchesse de Châtellerault ; diverses invitations leur furent adressées en cette qualité, au nom du roi Charles X, par le premier gentilhomme de la chambre.
L'une de ces lettres d'invitation a été conservée, elle est signée du duc d'Aumont et conçue en ces termes :
« D'après les ordres du Roi, mon cher Duc, j'ai l'honneur d'envoyer à madame la duchesse d'Hamilton, un billet pour le grand couvert. Je me trouve bien heureux d'être l'organe de Sa Majesté et d'avoir eu à faire quelque chose qui vous fût agréable.
Je donnerai l'ordre aux huissiers de conduire la duchesse à la place qu'elle doit avoir, ayant les honneurs du tabouret, c'est-à-dire avec nos duchesses.
Recevez, mon cher Duc, une nouvelle assurance de ma considération très-distinguée.
Signé: Le duc d'Aumont. »
Ce n'est pas, sans doute, comme étant duchesse en Angleterre que madame la duchesse d'Hamilton était admise à la cour de France aux honneurs du tabouret, et placée, dans les réceptions de la cour, avec les duchesses françaises; le seul motif de cette distinction, c'est qu'elle était duchesse en France, parce que le duc d'Hamilton, son époux, y était duc de Châtellerault. Et, de fait, le roi Charles X ne l'appelait jamais autrement que madame la duchesse de Châtellerault.
De tous les faits que nous venons d'exposer il résulte, de la manière la plus évidente, que M. le marquis d'Abercorn n'a aucun droit au titre de duc de Châtellerault.
Mais il nous reste à examiner en quelques mots une prétention, que l'on paraîtrait vouloir produire; à savoir que le titre de due de Châtellerault est bien resté dans la branche aînée de la famille Hamilton, et que, recueilli par la duchesse Anne, il a été transmis par elle à ses descendants, mais que l'un d'eux, James, VIeduc d'Hamilton, mort le 20 décembre 1770, ayant laissé une fille aînée, lady Elisabeth, et deux fils, cette fille aurait recueilli, comme aînée, les droits au titre de duc de Châtellerault, et transporté ce titre dans la maison de Derby, en épousant, le 23 juin 1774, Edouard Smith, comte de Derby.
Il nous semble qu'il suffirait d'exposer cette prétention nouvelle, si .elle était élevée, pour qu'il en fût fait justice immédiatement.
Il n'y a aucune analogie entre la position de la duchesse Anne et celle de lady Elisabeth. La duchesse Anne, restée seule de la branche aînée, en a recueilli tous les titres. Lady Elisabeth, qui avait deux frères, n'a pu apporter aux Derbys le titre de duc de Châtellerault, pas plus qu'elle ne leur a apporté ceux d'Hamilton et d'Arran.
En conséquence,
le soussigné,
après avoir pris une connaissance approfondie des actes et des faits,
n'hésite pas à déclarer que, dans son opinion, le titre de duc de
Châtellerault ne peut être revendiqué ni par M. le marquis d'Abercorn
ni par M. le duc de Derby, et que ce titre appartient incontestablement
à M. le duc d'Hamilton.
A. TEULET,
Archiviste aux Archives de l'Empire.